L'assurance des risques agricoles

République Dominicaine © Bree, CC BY-SA 2.0

En lui procurant des moyens de subsistance renouvelables, l’agriculture a joué un rôle essentiel dans la survie de l’espèce humaine. De par son exposition, de façon récurrente, aux risques du temps et à des fléaux dévastateurs, l’agriculture est un secteur éminemment vulnérable.

Le monde agricole a connu, à partir de la deuxième moitié du 20ème siècle, une révolution qui a radicalement modifié ses structures, ses modes et moyens de production et de distribution.

Conséquence du progrès technologique et scientifique, cette évolution s’est opérée dans les pays développés où l’exploitation agricole est devenue une industrie sophistiquée. Accentué depuis quelques décennies par la mondialisation, ce processus commence à se manifester aussi dans les pays émergents.

Les risques agricoles

Risques traditionnels liés à l'incertitude

© Cthoe, CC BY-SA 3.0

Une exploitation agricole est une entreprise naturellement risquée. Elle est exposée aux multiples aléas météorologiques, climatiques ou épidémiques tels que grêle, sécheresse, inondations, tsunamis, tempêtes, ainsi qu’à l’apparition de maladies et de parasites.

Les risques agricoles peuvent affecter l’exploitation dans :

  • son activité de production proprement dite
  • son approvisionnement et tout ce qui rentre dans son système productif (prix des intrants)
  • ses débouchés (prix et qualité des produits)
  • ses recettes
  • sa pérennité

Les risques agricoles liés au contexte

Plus que toute autre activité humaine, l’agriculture et le monde paysan en général sont tributaires des évènements et des décisions d’ordre politique, social et économique qui agissent directement sur les conditions d’exercice de l’activité. De tout temps, guerres, pillages, incendies et accidents ont des effets dévastateurs sur le monde agricole. Sur le plan strictement économique, la viabilité du secteur agricole est directement liée à des paramètres tels que fluctuations tarifaires, variations des taux d’intérêt, loi du marché, législations en matière de barrières douanières, systèmes de subvention et de fiscalité.

Enfin, la rentabilité économique des exploitations agricoles est confrontée aux risques techniques et opérationnels des circuits de distribution et outils de gestion, du recours aux vaccins et de la diversification des cultures.

Les nouveaux risques agricoles

Crédit photo: United States Department of Agriculture /  Dr. Art Davis  Les mutations économiques et sociales induites par la mondialisation ainsi que les progrès technologiques sont à l’origine de nouveaux risques liés à :

  • l’environnement (pollutions subies ou causées par l’agriculture, pesticides)
  • l’utilisation des nouvelles technologies : boues d’épuration, organismes génétiquement modifiés
  • l’apparition de nouvelles épidémies : crise dite du poulet à la dioxine, grippe aviaire, encéphalite spongiforme bovine (ESB dite "maladie de la vache folle")
  • l'incertitude sur les prix des produits agricoles qui accroît la variabilité des revenus

L’assurance des risques agricoles

Crédit photo: International Rice Research Institute© International Rice Research Institute, CC BY 2.0

En raison de la part prépondérante qu’elle occupe dans l’économie d’un pays et de sa forte exposition, l’agriculture est, dans la plupart des pays, y compris industrialisés, un secteur placé sous la protection des états qui agissent pour protéger ses acteurs et leurs moyens de production, en particulier lors de sinistres liés au déchaînement exceptionnel d'un agent naturel.

L’intervention des pouvoirs publics se fait, soit directement, par la création de dispositifs de solidarité et de partage du risque, soit, indirectement en tant que réassureur ou en participant au financement des primes versées aux agriculteurs.

Le recours aux compagnies d’assurance constitue un complément à l’action des États et la couverture du secteur agricole est le fait de systèmes hybrides public/privé.

L’une des caractéristiques principales de l’intervention du marché de l’assurance est son insuffisance à couvrir la totalité des garanties.

Cette difficulté s’explique par l’implantation limitée des systèmes d’assurance, le caractère aléatoire des risques et l’enchevêtrement des causes et des événements pouvant conduire à l'accumulation d'une nuisance ou à l'avènement d'un sinistre.

Assurance des risques agricoles : les obstacles qui réduisent son efficacité

Parmi les nombreux obstacles qui limitent le champ de l’assurabilité des risques agricoles, figurent :

  • l’extrême gravité des sinistres : catastrophes naturelles exceptionnelles (tsunamis, ouragans, sécheresses, tempêtes)
  • l’inefficacité des techniques de lutte préventive du fait de l’imprévisibilité et de l’intensité des évènements naturels
  • la grande spécialisation des exploitations qui réduit les possibilités de diversification des risques
  • le décalage entre la perception de l’exposition et les risques encourus.

Assurance des risques agricoles : les garanties et les types de contrats

Une police d'assurance risques agricoles peut garantir :

  • les habitations et les biens personnels
  • les bâtiments agricoles
  • les produits agricoles : on appelle produits agricoles les facteurs de production et les fournitures agricoles tels que les aliments du bétail composés, les engrais et les pesticides, les produits récoltés sur la ferme comme le lait et les œufs et les divers produits tirés du sol, c'est-à-dire les cultures proprement dites.
  • le bétail : La police d'assurance agricole spécifie les «catégories» d'animaux d'élevage assurées (bovins, chevaux, porcs, volailles, moutons, lapins, cerfs, autruches, etc). La police couvre également les pertes d’exploitation pour les élevages à grande échelle.
  • les machines et le matériel : Les machines et le matériel comprennent toute pièce d'équipement, appareil, machine ou outil utilisé à des fins agricoles.
  • Crédit photo: International Center for Tropical Agriculture© Neil Palmer, CC BY-SA 2.0
    la responsabilité civile : Une police responsabilité civile garantit en général l'exploitant contre les responsabilités pouvant être mises en cause du fait de ses actes personnels, de ses bâtiments, de ses activités professionnelles.

Les compagnies d'assurance proposent deux formules de base (deux niveaux de garanties) :

  • La police d’assurance risques désignés ou risques spécifiés : C’est la forme d'assurance la plus courante ; la police mentionne expressément tous les risques contre lesquels l’agriculteur s’assure : incendie et risques annexes, émeute, vandalisme, tempête de vent ou grêle, … Sous réserve de certaines exclusions et limitations dans la description des risques, l'assureur remboursera la perte physique ou les préjudices causés par un des événements assurés en fonction des montants mentionnés dans les polices.
  • La police d’assurance étendue ou assurance tous risques : Tous les sinistres touchant directement les biens assurés sont garantis, sauf si le bien touché ou le risque a été expressément exclu de la police d’assurance.

La plupart des rubriques d'une police d'assurance agricole sont assorties d'une franchise.

La couverture peut être étendue à certains risques moyennant le paiement d’une surprime, exemples :

  • Assurance interruption de la source d'énergie dans les exploitations spécialisées en productions avicoles et porcines
  • Assurance épuisement des volailles dû à la chaleur dans les exploitations avicoles

L’assurance des risques agricoles dans les pays industrialisés

Vignoble du Vaucluse © Michal Osmenda , CC BY-SA 2.0

L'organisation des régimes d'assurance risques agricoles diffère selon les pays mais elle nécessite toujours une intervention publique qui y joue un rôle central, ce qui fait du régime d'assurance agricole un des outils des politiques agricoles dans les pays de l’Union Européenne, aux Etats-Unis ou au Canada.

En France, la protection des agriculteurs contre les aléas repose sur trois systèmes :

  • Le marché de l'assurance couvre essentiellement les risques dommages des exploitations agricoles, la grêle, le gel, les responsabilités.
  • La garantie catastrophes naturelles : Instauré en 1982, le régime d'indemnisation des victimes des catastrophes naturelles prend en charge les dommages causés aux bâtiments, stocks, matériels, véhicules, cheptels vifs, les tempêtes ou autres inondations.
  • Le Fonds National de Garantie contre les Calamités Agricoles. Le FNGCA a été créé en 1964 avec pour mission de développer les mesures de prévention, indemniser les producteurs et les inciter à s'assurer contre les risques agricoles. Il est financé par une subvention budgétaire de l’Etat et par une contribution assise sur les primes ou cotisation des autres assurances.

Une calamité agricole

regroupe les dommages subis non assurables d'importance exceptionnelle dus à des variations anormales d'intensité d'un agent naturel et lorsque les autres moyens de lutte ont été inopérants. La procédure de classement en zone concernée est déclenchée après des dommages collectifs dus à un aléa naturel non couvert par une autre procédure de dédommagement (abattage de troupeau pour raison sanitaire, intervention sur un marché, ...) et non classés « catastrophe naturelle ».
Crédit photo: United States Department of Agriculture / Scott BauerPennsylvanie

Aux Etats-Unis, mis en place par le gouvernement fédéral en 1939, le dispositif d’assurance multirisques sur récoltes, le Federal Crop Insurance Corporation (FCIC), a fait l’objet de remaniements successifs.

Le dispositif actuel repose sur l’action coordonnée de l’état fédéral et de compagnies privées pour promouvoir la souscription des agriculteurs aux programmes d’assurance. L’Etat fédéral intervient pour garantir la pérennité du secteur, par le biais de la Risk Management Agency, chargée de la gestion des programmes. Le coût pour le gouvernement fédéral s’est élevé à 3 612 millions USD en 2004.

Le marché des assurances est un acteur majeur dans la couverture des risques agricoles. Les contrats d’assurance sont proposés aux agriculteurs par les compagnies d’assurances privées signataires du «Standard Reinsurance Agreement », accord cadre qui régit le programme d’assurances. Depuis 1994, les marchés financiers proposent pour les principales grandes cultures des contrats à terme sur récoltes basés sur un rendement agrégé par zone.

Les programmes d’assurances agricoles américains sont de deux types :

Le programme « CAT » - Catastrophic coverage - constitue une assurance catastrophe de base. L’agriculteur est dédommagé des pertes supérieures à 50% de son rendement de référence, à concurrence de 55% du prix de marché estimé pour la production agricole considérée.

Le programme « Buy-up coverage » comprend de nombreuses polices qui peuvent couvrir soit les rendements, soit le chiffre d’affaires.

22 types de polices différentes sont actuellement proposés, pour couvrir 105 productions. Initialement développé pour offrir une couverture aux producteurs de grandes cultures, le programme est aujourd’hui étendu à la quasi-totalité des productions agricoles et animales.

De tels programmes d'assurance existent au Canada. Ils commencent à se développer en Europe à l’exemple de la Grande Bretagne où les céréaliers anglais peuvent souscrire depuis mai 1999 une assurance revenu.

L’assurance des risques agricoles dans les pays émergents

© Elin Beckmann , CC BY 2.0

Alors que dans les pays développés, l’agriculture participe de moins en moins dans le PIB et dans l’emploi, la situation est radicalement opposée dans les pays émergents à forte population rurale, c'est-à-dire, la majorité des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine où le travail de la terre occupe encore un pourcentage important de la population.

De ce fait, l’agriculture est un secteur particulièrement sensible dans lequel l’intervention politique est déterminante en matière de protection.

Principales caractéristiques du secteur agricole

  • le morcellement des exploitations
  • le statut foncier basé sur la propriété familiale indivise
  • les modes de gestion et les techniques agricoles traditionnelles
  • les faibles revenus des populations et leurs difficultés d’accès au crédit
  • l’insuffisance des infrastructures : routes, électrification, systèmes d’irrigation
Champ de sucre, Ile Maurice © Hannes Grobe, CC BY-SA 2.5

Ces caractéristiques sont autant de raisons qui expliquent, aussi bien la forte exposition du secteur que la faible pénétration des dispositifs d’assurance des risques agricoles, qu’ils soient d’ordre public ou privé.

Les principaux obstacles à une protection efficace du monde agricole sont le manque de ressources financières, l’insuffisance des dispositifs juridiques et réglementaires, la difficulté d’accès à l’information en matière de prévention et aux marchés de l’assurance.

Mais dans la plupart de ces régions, la mondialisation est en œuvre. Avec la disparition progressive des barrières douanières et la modification des schémas de production, de distribution et de consommation, on assiste à la mutation progressive de l’agriculture traditionnelle de subsistance vers une agriculture commerciale utilisant les outils technologiques et scientifiques. Le processus se manifeste surtout dans les secteurs de production de certaines denrées à forte valeur ajoutée (exemple de la production sucrière à l’Ile Maurice).

Assurance des risques agricoles : le rôle est variable selon les pays

Nilgris, Inde © Rafeek Manchayil , CC BY 2.0

En Chine et en Inde, notamment, où le monde rural constitue un potentiel colossal, la libéralisation du marché de l’assurance et l’émergence de nouveaux acteurs commencent à produire un effet d’entraînement favorable au secteur de l’assurance des risques agricoles.

Basés sur un partenariat public/privés, de nombreux programmes pilotes sont mis en œuvre. Ils portent sur le micro financement des paysans, la micro-assurance et sur les produits dérivés basés sur les indices climatiques.

Sur le continent africain, la plupart des systèmes d’assurance agricoles mis en œuvre par les gouvernements ont été initiés et financés par les institutions internationales, à l’exemple de l’Ethiopie qui, en partenariat avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a lancé en 2006, un programme pilote d’assurance des récoltes établi sur les indices pluviométriques.

Ferkessédougou, Côte d'Ivoire © Zenman, CC BY-SA 3.0

Seules l’Afrique du Sud et l’île Maurice se distinguent par un système d’assurance ancien, bien implanté et essentiellement dévolu au secteur privé. Cette particularité s’explique par le développement de certaines productions agricoles et leur intégration dans les circuits mondiaux de distribution.

Le processus actuel de restructuration du secteur de l’assurance au Nigeria devrait favoriser l’émergence de nouveaux acteurs et renforcer l’implantation des dispositifs d’assurance agricole. La prise de conscience est de plus en plus aiguisée par la situation alimentaire critique que connaissent plusieurs pays. C’est ainsi, par exemple que le gouvernement de Zambie a lancé, en 2006, une politique d'assurance risques agricoles.

La situation des trois pays du Maghreb central est sensiblement identique en matière d’assurance du secteur agricole.

Au Maroc, le principal acteur en est la Mutuelle Centrale Marocaine d’Assurance, crée en 1969. A la suite de plusieurs années de sécheresse consécutives, le gouvernement a mis en place en 1995, dans le cadre d’un partenariat public/privé, un programme d’assurance des récoltes, en particulier, céréalières. Le programme de sécurisation de 60 millions de quintaux de céréales, lancé portait sur la garantie de 300 000 ha.

En Algérie, les statistiques du marché 2006 font apparaître un très grand déficit de la couverture assurantielle du secteur agricole qui enregistre une baisse de 22,8% par rapport à 2005 avec seulement 35 000 exploitations couvertes par l'assurance sur un total de 1,2 millions d’unités, soit une pénétration de 3,5 % alors que ce taux est de 50 % en Espagne et de 20 % en France.

Selon la Compagnie Centrale de Réassurance, le potentiel agricole national se chiffre à 8,5 millions d'hectares et le nombre d’agriculteurs à 4 millions. Les sinistres de l'année 2006 se chiffrent à 400 millions DZD (5,8 millions USD) et le montant global de la prime à 525 millions DZD (7,6 millions USD).

Crédit photo: Fle7aOliviers à Sfax

En Tunisie, même constat : dans le cadre de la réforme du secteur de l’assurance engagée en 2000, les mesures spécifiques à dynamiser la branche agricole portent sur :

  • l’intégration de l’assurance dans le schéma d’investissement agricole
  • l’amélioration des prestations à travers l’élaboration des contrats type avec des formules multirisques, la simplification des procédures et la réduction des délais d’expertise et d’indemnisation, l’octroi d’une avance d’un minimum de 50% pour l’agriculteur en cas de litige sur le montant des dégâts évalués par l’expert.
  • l’encouragement de l’assurance pour les risques agricoles par l’application de tarifs préférentiels.

Assurance des risques agricoles : à nouveaux enjeux, nouveaux instruments

Used with permission from MicrosoftDans les pays industrialisés, les exploitants agricoles sont de plus en plus exposés aux risques financiers de rendement et de prix induits par les fluctuations des cours mondiaux.

Comme l’ont démontré les récentes crises de l’ESB ou de la grippe aviaire, les risques liés à la sécurité alimentaire et à la santé publique accentuent de façon considérable l’exposition des acteurs du secteur agro-alimentaire.

Face à l’évolution du secteur, les assurances innovent et forgent des réponses adaptées permettant le transfert de ces nouveaux risques vers les marchés financiers.

De nouveaux produits financiers dérivés tels que " Les contrats d’assurance revenu " qui permettent à l’agriculteur de définir une recette garantie par culture ou ceux basés sur les indices climatiques, constituent une alternative aux programmes de réassurance gérés par les pouvoirs publics. Cette réactivité, permet au secteur de l’assurance agricole de jouer un rôle de plus en plus important dans la gestion des risques au bénéfice des politiques agricoles.

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