Les agences de notation

Depuis la dégradation de la note souveraine américaine et l’annonce par erreur de la privation de la France de son triple A, les agences de notation sont sous les feux de la rampe.

agences de notationagence de notationAu centre d’une polémique, ces institutions qui font la pluie et le beau temps sur les marchés financiers n’ont pas cessé, depuis quelques années, d’accumuler bavures, ratages et erreurs de jugement. Retour donc sur ces gendarmes des marchés aux secrets bien gardés.

Rôle des agences de notation

Les agences de notation sont des entités économiques indépendantes, spécialisées dans l’évaluation et la notation de la capacité d’un emprunteur, qu’il soit Etat, collectivité locale (commune, département, région…), entreprise financière ou non. Elles apprécient la capacité de ces acteurs économiques à honorer leurs engagements financiers et mesurent le risque de non remboursement des dettes, qu’on appelle « qualité de signature ».

Cette évaluation se fait à travers l’attribution de notes aux entreprises et aux Etats qui ont besoin d'emprunter de l'argent sur les marchés financiers.

La notation

Un alphabet de quatre lettres et 24 échelles allant de AAA, la plus solide, au D, défaillance, qui qualifie la solvabilité des entreprises et des Etats souhaitant emprunter sur les marchés.

Agences de notation : présentation des leaders

Bien qu’on compte 150 agences de notation financière dans le monde en 2010, trois d’entre elles monopolisent le paysage financier : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. Surnommées « the big three », ces agences qui se partagent près de 90% du marché de la notation, ont droit de vie ou de mort sur les gouvernements de 126 pays dans le monde. Par ce fait, ces entreprises centenaires occupent une position oligopolistique sur le marché de la notation.

Leur influence sur la finance mondiale est telle que certains spécialistes se plaisent à les surnommer les nouveaux maitres du monde ou les nouveaux oracles.

L’agence de notation : Standard & Poor’s

Standard & Poor’sStandard & Poor’s dont l’origine remonte au 19ème siècle s’est développée avec l’expansion des chemins de fer aux Etats Unis. Ce n’est qu’en 1941 que l’agence de notation prend son nom actuel suite à la fusion du Standard's Statistics Bureau, créé en 1906, et de la Poor's Publishing Company, lancée en 1868 et qui publiait un guide annuel des sociétés de chemin de fer, compilant des informations financières.

En 1966, S&P est rachetée par le groupe de médias américain McGraw-Hill.

  • Société américaine
  • Chiffre d'affaires 2010 : 2,9 milliards USD
  • Effectif total : 6 700 personnes dans le monde
  • Effectif des équipes de notation : 1 345 salariés
  • Présence dans 23 pays
  • Part de marché : 40%

L’agence de notation : Moody's

Moody's CorporationC’est John Moody qui crée en 1900 Moody's Investors Service, une société spécialisée dans la vente des études statistiques sur l'activité des compagnies ferroviaires. En 1909, la société a commencé à attribuer des lettres pour évaluer l'endettement des compagnies de chemin de fer. A présent, l'agence est une filiale de Moody's Corp, dont le principal actionnaire est Berkshire Hathaway, le fonds d'investissement de Warren Buffet.

  • Société américaine
  • Chiffre d'affaires 2010 : 2 milliards USD
  • Effectif total : 4 700 personnes dans le monde
  • Effectif des équipes de notation : 1 200 salariés
  • Présence dans 26 pays
  • Part de marché : 32%

L’agence de notation : Fitch ratings

Fitch ratingsFondée à New York en 1913 par l'américain John Knowles Fitch, cette agence de notation est passée en 1997 sous le contrôle de Fimalac, le holding de l'homme d'affaires français Marc Ladreit de Lacharrière. Fitch Ratings est contrôlée à hauteur de 60 % par Fimalac.

  • Société française
  • Chiffre d'affaires 2010 : 820 millions USD
  • Effectif total : 2 000 personnes dans le monde
  • Effectif des équipes de notation : 1 050 salariés
  • Présence dans 50 pays
  • Part de marché : 14%

L’agence de notation : AM Best

Bien que ne figurant pas parmi les «big three», AM Best s’est spécialisée dans la notation des sociétés d’assurance et de réassurance.

Fondée en 1899 par Alfred M. Best, elle dispose de locaux au Royaume-Uni, aux Etats Unis et à Hong Kong. A.M. Best offre des services complets de notation de crédit, dédiés à l’industrie de l’assurance et de la réassurance.

Agences de notation : le processus de notation

Malgré leur poids sur la finance mondiale, les agences de notation ne disposent pas d’un personnel qu’on peut qualifier de génie de la bourse, ni titulaire de «PhD» (docteurs). Leurs analystes sont souvent des binationaux, parlant plusieurs langues.

Ce sont généralement des diplômés d’écoles de commerce qui possèdent une formation d’économiste avec une expérience dans le secteur public. Leurs salaires sont plus proches de ceux adoptés dans les cabinets d’audit, que de ceux pratiqués par les salles de marché pour les traders ou les gestionnaires de fonds.

Les analystes débutants gagnent environ 45 000 EUR (59 638 USD) par an alors que les plus expérimentés émargent à des salaires annuels compris entre 75 000 et 100 000 EUR (99 397 et 132 530 USD).

Les analystes travaillent au sein d’unités réduites. Une équipe est généralement composée de deux analystes : un analyste principal, assisté d’un second (un back-up), chargé de collecter les informations nécessaires à la notation : rapports annuels, études sectorielles, recherches économiques et enquêtes de terrain. La phase de recherche peut nécessiter plusieurs semaines de travail et d’analyse.

Chaque agence de notation financière applique sa propre méthodologie. C’est à la demande de l’analyste principal que le comité de notation, comprenant une quinzaine d’analystes se réunit pour statuer sur la note finale qui est attribuée en toute discrétion et en un temps limité.

agence notationUne fois déterminée (modification, augmentation, dégradation, mise sous surveillance ou changement de perspectives), la note est adressée à l’émetteur de la dette qui dispose d’environ 12 heures pour corriger les éventuelles erreurs. Passé ce délai, et les éventuelles corrections apportées, la note est rendue publique.

Les notes sont révisées au moins une fois par an ou à chaque fois que l’agence le juge nécessaire ; en cas de survenance d’un événement politique, social ou économique majeur ou lors d’une quelconque acquisition.

Types de notation attribuée par les agences de notation

Il existe deux types de notation :

  • La notation souveraine correspond à l’évaluation du risque pays. Elle permet aux entreprises qui concluent des contrats à l’étranger de mieux appréhender les risques auxquelles elles s’exposent en investissant dans le pays.
  • La notation d’entreprise ou notation «corporate» permet d’aider les dirigeants des sociétés à prendre des décisions. Elle évalue la capacité d’endettement de l’entreprise. Elle indique notamment dans quelles mesures les engagements financiers d’une société sont influencés par les perspectives économiques, financières et politiques du pays d’origine ou d’accueil.

Méthodologie des agences de notation

La méthodologie des agences de notation fait l’objet de nombreuses études, notamment celles concernant la notation souveraine.

La méthodologie est en réalité différente d’une agence à l’autre, avec des écarts souvent importants.

Néanmoins, toutes tendent à analyser la situation financière de l’émetteur, voir s’il est solvable ou non.

L’appréciation de la note souveraine se base, essentiellement, sur cinq grands critères :

  • la dette publique par rapport aux recettes budgétaires (dette publique/PIB)
  • le PIB par habitant
  • l’historique des défauts de paiement du pays
  • la gouvernance économique et politique du pays
  • le taux d’inflation enregistré

L’analyse de la note corporate est fonction des points ci-dessous :

  • l’analyse de l’environnement macro-économique et réglementaire dans lequel évolue la société
  • l’analyse du risque commercial qui tient compte de l’environnement concurrentiel de l’entreprise et de sa propre position sur son marché
  • l’analyse du risque financier qui s’articule autour de cinq axes majeurs : la politique financière, la rentabilité, la structure financière, l’autofinancement et la flexibilité financière
  • l’analyse fondamentale de l’émetteur qui se base, entre autres, sur l’étude du niveau de ses fonds propres, de ses réserves et sur l’évaluation de la qualité de ses actifs

Rémunération des agences de notation

Les agences de notation ne demandent aucune rétribution en contre partie de la note attribuée aux Etats. L’étude de la note souveraine sert de publicité aux agences.

En revanche, les entreprises, les banques, les sociétés d’assurance et autres institutions payent pour être notées. Pour les entreprises émettrices de dette, la rémunération est calculée en fonction du volume de la dette émise. La notation des entreprises relevant du secteur public (collectivités locales, mairies, départements…) ne représente en moyenne que 15% des revenus des agences. L’essentiel de leur chiffre d’affaires est réalisé avec des entreprises privées.

Selon le barème 2009 de S&P, une entreprise américaine verse au minimum 70 000 USD pour être notée. A ce montant s’ajoute un abonnement de surveillance qui lui revient à plus de la moitié du montant initial.

La notation est un business model juteux comme le démontre l’énorme taux de rentabilité de ces agences. Les trois « big three », Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, dégagent des profits considérables s’élevant à près de 50% de leur chiffre d’affaires.

Agences de notation : une influence grandissante sur la finance mondiale

Les trois grandes agences de notation étaient à leur création de simples officines d’information financière, sans grande influence. Elles ont acquis, ultérieurement, un statut de fournisseur d’informations sophistiquées et complexes. Aux données se sont ensuite adjointes des notations qui s’échelonnent de AAA (la plus solide) à D (défaut de paiement).

Le rôle des agences s’est définitivement confirmé dans les années 1970 avec la multiplication des textes réglementaires, recommandant ou exigeant des entreprises un rating délivré par une agence reconnue. Ce sont donc les régulateurs nationaux et internationaux qui leur ont conféré le statut d’oracle.

La législation de certains pays exige, par exemple, que les investisseurs institutionnels n’achètent que des titres bien notés par l’une des trois grandes agences de notation.

Autrement dit, il ne suffit plus à un titre d’afficher de bons résultats pour que sa valeur s’apprécie. Il faut également que sa solvabilité soit bien évaluée par une agence.

Il faut également préciser que depuis 2004, le protocole de Bâle II, concernant les règles prudentielles relatives aux fonds propres, a confié aux agences un statut d’évaluateur très puissant. Selon ces normes les banques européennes et la Banque Centrale Européenne doivent se référer aux analyses des deux agences de notation américaines : Moody’s et S&P pour évaluer le risque de crédit.

De plus, ces agences ont acquis le pouvoir de décider du sort des pays en difficulté, comme le montre les exemples de la Grèce, de l’Italie ou même de l’Irlande.

Agence de notation : le rating, un business model contesté

Bien que le rating reste une notion utile et essentielle dans la prise de décision, tant pour l’émetteur que pour l’investisseur, les agences de notation sont critiquées pour :

  • leur dépendance, partialité et manque d’objectivité. Elles sont représentatives du principe de l’« émetteur-payeur » : l’émetteur d’actifs financiers paie l’agence de notation pour être noté
  • l’opacité de leurs méthodes de notation
  • le manque d’anticipation et de crédibilité. Depuis 15 ans, elles n’ont vu venir aucune crise : la faillite des Etats sud-américains dans les années 1980, la crise financière en 2008, le mauvais état des finances publiques grecques en 2010
  • être plus conciliantes envers les pays anglo-saxons qu’envers les autres pays européens
  • être pro-cycliques. Elles sèment la panique, aggravent souvent les crises économiques et provoquent de graves récessions
  • l’ingérence inappropriée dans la politique économique interne de certains pays, marchés ou entreprises
  • le considérable pouvoir de décision qu’elles ont sur le sort des pays en difficulté
  • les erreurs de jugement commises avant et pendant les crises économiques récentes et le manque d'exactitude de leurs notes

Le caractère oligopolistique du secteur de la notation est également sujet à des critiques. Trois agences de notation accaparent la quasi-totalité du marché.

Les ratages des agences de notation

  • Crise asiatique 1997-1998. Aveuglées par le miracle asiatique, les trois agences de notation, n’ont pas détecté les défaillances de certains Etats qui ont été confrontés à de graves crises de liquidité et de solvabilité comme la Thaïlande, la Malaisie, la Corée du Sud et l’Indonésie.
  • Faillite d’Enron en décembre 2001. Enron, le numéro un mondial du courtage en énergie et septième entreprise américaine, fait faillite suite à des opérations frauduleuses alors qu’il était noté triple A jusqu’à sa disparition.
  • L’Irlande et l’Espagne ont obtenu la note AAA en 2006. Ces deux pays garderont leur rating jusqu’en 2009 malgré un taux d’endettement inquiétant.
  • Moody’s a découvert, début 2007, une erreur informatique dans son modèle d’évaluation de certains produits financiers qui ont été, de ce fait, surnotés.
  • Crise des subprimes en 2008. Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch n’ont pas vu venir le désastre. Elles avaient attribué les meilleures notes à des produits qui se sont révélés ultra toxiques. Ces trois agences de notation financière ont par la suite admis qu’elles s’étaient trompées et Washington les a désigné coupable de grande récession. La notation des produits structurés représentait alors 50% du revenu des agences.
  • L’Islande est notée Aaa par Moody’s en mai 2008. Quelque mois plus tard, le pays s’effondre suite à l’implosion de son système bancaire.
  • A la veille de sa faillite, le 15 septembre 2008, la banque multinationale Lehman Brothers, était notée triple A. L’enquête du Congrès américain a démontré en juin 2010 le manque d’impartialité de Standard & Poor’s.
  • Les Etats Unis perdent leur triple A en août 2011. L’administration américaine a accusé S&P d’avoir sous-estimé la réduction du déficit budgétaire de 2 000 milliards USD soit 15% du PIB américain. Suite à cette erreur de jugement, que l’agence qualifie de divergence d’interprétation, le patron de S&P et son responsable de la note américaine ont dû démissionner de leur fonction. Une enquête a été également ouverte par le département de la justice. Suite à ce ratage et à la baisse de la note souveraine américaine, les principales banques américaines et cinq compagnies d'assurance (Knight of Columbus, New York Life, Northern Mutual, l’association des assureurs des enseignants et l’association des services automobile) ont perdu leur "triple A". Les perspectives de la note de Berkshire Hathaway et celles de ses filiales passent de "stable" à "négative". Autre dégât collatéral, les indices boursiers américains et européens ont affiché pendant plusieurs séances des résultats négatifs et des pertes considérables
  • En novembre 2011, S&P affole les marchés durant deux heures. Elle annonce par erreur la perte par la France de son triple A. Conséquences de cette maladresse :
    • augmentation à 3,49% des taux d’intérêt français, alors que 10 milliards EUR (13,2 milliards USD) de dettes de ce pays s’échangent chaque jour sur les marchés
    • baisse de l’euro face au dollar
    • les marchés financiers ont été affectés de Paris à New York et de Francfort à Londres.

Mesures pour réduire l’influence des agences de notation

Bien qu’elles aient accumulé erreurs, ratages et maladresses, les agences n’ont pas, pour autant, perdu leur statut d’évaluateur tout puissant.

S&P a mis récemment sous surveillance négative une quinzaine de pays européens. Cette décision, qui a affolé les marchés de la zone euro, a remis à l’ordre du jour le problème du rôle et des pouvoirs exorbitants des agences de notation.

Un projet de réforme de ces institutions est d’ores et déjà à l’examen. Présenté par l'autorité européenne des marchés financiers (ESMA, European Securities and Markets Authority), ce projet plaide pour:

  • la suspension de la notation d’un pays sous assistance financière
  • la pénalisation des agences en cas d’erreur
  • l’obtention par les agences d’une licence pour exercer sur le continent européen
  • l’information préalable des Etats de tout changement de leur notation vingt-quatre heures avant sa publication et non plus douze heures
  • le changement d’agence tous les trois ans afin de favoriser la concurrence
  • l’approbation préalable de tout changement de la méthodologie des agences par l’ESMA

D’autres mesures sont avancées comme :

  • le recours à des analystes internes pour évaluer les risques pays et entreprise
  • la création d’une agence de notation européenne publique et indépendante échappant aux conflits d'intérêts, notamment avec le secteur bancaire
  • différents travaux de régulation autour de Bâle III, qui essaient également de réduire le pouvoir de cess agences

Le club des pays notés triple A par les agences de notation

Les pays notés triple A forment un club très fermé. Aujourd’hui, 13 pays font partie de ce cercle. Après la dégradation de leur notation par S&P en août 2011, les Etats Unis ont perdu ce privilège, qu’ils détenaient depuis 1975.

Au 31 novembre 2011, les 13 pays notés AAA par les agences de notation sont :

 Standard
& Poor’s
Moody’sFitchRatio dette sur
PIB en %
Taux d’emprunt
à 10 ans en %
Allemagne
AAAAaaAAA82,641,87
Autriche
AAAAaaAAA72,333,32
Canada
AAAAaaAAA84,122,12
Danemark
AAAAaaAAA44,331,96
Finlande
AAAAaaAAA50,222,54
France
AAAAaaAAA86,873,49
Luxembourg
AAAAaaAAA18,22,32
Norvège
AAAAaaAAA55,422,41
Pays Bas
AAAAaaAAA65,522,46
Royaume Uni
AAAAaaAAA80,762,17
Singapour
AAAAaaAAA93,471,59
Suède
AAAAaaAAA36,061,66
Suisse
AAAAaaAAA52,430,80
Source: Agences de notation, FMI

Les différentes notes de l'endettement à long terme, octroyées par les trois principales agences de notation

Moody’sStandard
& Poor’s
FitchCommentaires
AaaAAAAAAC'est la meilleure note possible. Le risque est quasi nul
AaAAAASimilaire à la meilleure note, la qualité de l'émetteur est haute ou bonne
AAAL'émetteur est de bonne qualité, avec une solidité économique, financière et institutionnelle
BaaBBBBBBL'émetteur est de qualité moyenne
BaBBBBA partir de cette note, le risque de non remboursement est plus important sur le long terme. Mais absence de risque clair et immédiat de non remboursement
BBBLe risque est assez fort. La probabilité de remboursement est incertaine
CaaCCCCCCLe risque de non remboursement sur le long terme est très important
CaCCCCL'émetteur est proche de la faillite ou du défaut
C-DSituation de défaut ou de faillite
Source: Abcbourse

3
Votre notation : Aucun (1 vote)

Commentaires

Bonjour, vu leur model economique cela n'est-il pas un facteur qui pourrait influencer les notes?

Programme de publicité          Conditions d'utilisation          Copyright          Liens utiles          Réseaux sociaux          Crédits