Faute et assurance responsabilité civile médicale

Épisodes incroyables, aberrants, parfois dramatiques, les erreurs médicales alimentent les faits divers. Il n’y a pas si longtemps, l’opinion s’en accommodait comme une fatalité inhérente à la pratique médicale. Mais l’attitude face à la maladie a considérablement changé avec les progrès de la science et de la médecine. On vit de plus en plus longtemps. La demande en santé évolue et se diversifie en conséquence. Autrefois soumis au pouvoir quasi absolu de son docteur, le patient est devenu un client exigeant en termes de qualité et de sécurité des services médicaux.

Evolution vers une juridisation de la médecine

Image provided to Microsoft by iStockphoto. Used with permission from MicrosoftLa médecine a beaucoup évolué. Elle est devenue technique et pluridisciplinaire. L'individualisation de la faute à l'origine d'un dommage, et celle de son auteur est devenue très difficile dans le cas d’établissements hospitaliers où le médecin est un préposé de l’administration.

Partout à travers le monde, et, plus particulièrement dans les pays industrialisés, les années 2000 ont marqué un virage dans le rapport du patient aux soins médicaux. La multiplication des plaintes en justice et des réclamations contres les médecins sont devenues monnaie courante. La médiatisation des affaires les plus spectaculaires amplifie le phénomène, ce qui a entraîné un effet pervers dans les pratiques médicales et une hausse exponentielle des primes d’assurance responsabilité civile.

Des cabinets d’avocats, en quête d’affaires juteuses, proposent leurs services à des victimes d’accidents médicaux. Des bureaux privés d’expertise se spécialisent dans l’évaluation du risque de morbidité et de mortalité des hôpitaux. Certains proposent des systèmes de caméras vidéo pour filmer en direct les opérations de chirurgie de façon à contrôler le respect des protocoles techniques.

Used with permission from MicrosoftEn raison de la crainte réelle ou supposée des procès intentés par les victimes de fautes médicales ou leur famille, on assiste à un recours fréquent aux césariennes, aux examens même risqués pour le fœtus afin de détecter toute anomalie éventuelle. Certains médecins hésitent à réanimer des prématurés de peur de séquelles.

La médecine de spécialité traverse une crise qui, en s’accentuant, peut avoir des conséquences graves et durables sur la qualité des soins. Désemparés face à des évènements pénalisant leur profession, certains médecins se désengagent des activités qui mettent en cause leur responsabilité et des spécialités à risques sont désertées. Les plus concernées sont celles pratiquées sur un plateau technique au sein des établissements hospitaliers, obstétriciens, échographistes fœtaux, chirurgiens, anesthésistes, réanimateurs, etc.

Principes juridiques de la responsabilité civile et de l'exercice médical

Used with permission from MicrosoftLe concept de faute médicale remonte au Serment d’Hippocrate et au corpus des règles déontologiques de la profession. Il reste encore aujourd’hui l’un des points de divergences les plus aigus entre juristes et médecins. Les nouvelles évolutions sociales et médicales contraignent les acteurs du droit à un important travail de réflexion et de mise à jour

  • En France, l'article 1382 du Code Civil qui date de 1810 définit ainsi le principe de la Responsabilité Civile: "Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer"
  • L'arrêt Mercier (1936) fixe le cadre du rapport médecin-patient: "Il se forme entre le médecin et son patient un contrat qui entraîne pour le médecin, l'obligation, non pas de guérir son malade, mais de lui donner des soins non quelconques, mais réserves faites de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la Science"

Responsabilité contractuelle

C'est celle du médecin libéral ou de l'hospitalier public qui pratique un acte libéral. La responsabilité contractuelle demeure fondée sur la faute, que le demandeur (le malade) doit prouver. La faute résulte de l'inexécution des obligations du contrat. La prescription est trentenaire.

Le contrat de soins: obligation de moyens et non de résultats

Image provided to Microsoft by iStockphoto. Used with permission from MicrosoftÉtabli entre le médecin et le malade, le contrat de soins est oral (sauf cas particuliers), tacite, sui generis et synallagmatique (qui comporte des obligations réciproques). Il stipule:

Obligations du médecin

  • Respecter ses devoirs d'humanisme, d’attention, de prudence, de vigilance et d’adresse. Le médecin doit respecter la personne du malade et sa dignité. Ce respect implique
  • l'obligation de n'intervenir qu'avec le consentement du patient
  • le devoir d'assistance
  • le respect du secret
  • Donner des soins

Le résultat médical étant aléatoire, le médecin n'est pas tenu de guérir un patient. Il ne s’agit donc pas d’une obligation de résultat. Toutefois, le professionnel de santé doit fournir tous les moyens nécessaires, au regard des données acquises de la science, pour tenter de guérir ou soulager la douleur du patient, ce qui recouvre une obligation de moyens

Obligations du patient

  • suivre les prescriptions
  • honorer son praticien

Exemples de fautes

Fautes de négligence ou d'imprudence: confusion de champ opératoire, oubli d’une compresse ou d’un instrument dans le corps du malade opéré.

Actes illicites: euthanasie, acte sans finalité thérapeutique (stérilisation dite "de convenance", ...)

Défaut d'humanisme: défaut de consentement du patient, non-respect du refus de soin du patient, défaut d'information du médecin ou mauvaises informations fournies par le médecin...

Violation du secret médical.

Responsabilité civile du corps médical

Used with permission from MicrosoftParce qu’il exerce une activité à risques au sein d'une profession organisée, le médecin doit répondre de ses actes devant ses pairs et devant ses malades. En cas de faute avérée dans l'exercice de son art, sa responsabilité est engagée au civil comme au pénal.

La responsabilité des professionnels de santé se caractérise par sa complexité puisqu’elle se situe à la frontière de deux domaines, juridique et médical.

Primordiale en droit, la notion de responsabilité se traduit, en matière médicale, par la nécessité cumulative d’une faute, d’un préjudice causé au patient et du lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Il découle de l’obligation de moyens du médecin que la responsabilité médicale est une responsabilité pour faute, c'est-à-dire que le médecin n'est condamné que si la victime rapporte la preuve d'une faute à son encontre. Il peut s’agir d’une faute médicale ou d’une faute dans l’organisation du service.

Assurance Responsabilité civile professionnelle médicale

Le cas de la France

Le secteur de l’assurance responsabilité civile professionnelle médicale a connu en 2001 un véritable bouleversement du fait de deux évènements.

  • En autorisant l’indemnisation d’un enfant handicapé pour le préjudice né de son handicap fautivement non décelé, l’arrêt n° 486 du 28 novembre 2001, dit «Perruche», de la Cour de Cassation suscite les craintes des praticiens et des assureurs de voir s’amplifier les contentieux et la désaffection des compagnies d’assurance pour le risque médical. L’arrêt Perruche comporte le risque d’encourager les pratiques américaines dans le domaine de l’indemnisation des accidents médicaux
L’arrêt Perruche

Used with permission from Microsoft«Dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Madame PERRUCHE avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues».

  • L’adoption de la loi Kouchner du 4 mars 2002, complétée par la proposition About du 30 décembre 2002 a assoupli les dispositions et limité les dégâts de l’arrêt Perruche. En stipulant: «nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance», elle supprime la possibilité pour l’enfant dont le handicap n’a pas été décelé pendant la grossesse d’être indemnisé et fait porter les charges découlant du handicap par la solidarité nationale. Le texte fixe les règles d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, instaure un système d’indemnisation automatique des infections nosocomiales et soumet les professionnels et établissements de santé à une assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP).

Police d’assurance responsabilité civile professionnelle

La police d’assurance responsabilité civile professionnelle garantit les conséquences pécuniaires des dommages corporels, matériels et immatériels que l’assuré peut causer à des tiers au cours de son activité.

Une garantie supplémentaire est quasi automatiquement stipulée dans les contrats responsabilité civile: la «protection juridique». Cette garantie permet de couvrir les frais de défense de l’assuré devant toute juridiction civile, administrative, ordinale, pénale.

Les assurances responsabilité civile médicale sont rédigées sous la forme «tous risques sauf». C’est à dire que la base de cette assurance repose sur les exclusions qui y sont stipulées: si un risque ne fait pas l’objet d’une exclusion contractuelle, il est couvert et vis versa.

La notion de responsabilité civile professionnelle (RCP) a été intégrée dans le code des assurances. L’assurance en responsabilité est obligatoire pour les établissements publics ou privés (hôpitaux, cliniques, dispensaires, fondations...), les médecins, chirurgiens dentistes, pharmaciens, infirmières, masseurs kinésithérapeutes libéraux et les producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santé.

Le manquement à l’obligation d’assurance est puni de 45 000 EUR (70 000 USD) d’amende.

Configuration du marché français de l’assurance médicale

Le segment français de l’assurance médicale se caractérise par

  • l’étroitesse du marché
  • La contraction de l’offre d’assurance liée à la croissance des réclamations de victimes d’accidents médicaux et du montant des indemnisations des victimes
  • la limitation du nombre d’intervenants due au désengagement de certains acteurs du marché
  • l’ampleur des incertitudes liées aux modifications législatives
  • l’Insuffisance des dispositifs de prévention du risque d’accident médical

Image provided to Microsoft by Fotolia. Used with permission from MicrosoftLa responsabilité civile médicale est une sous catégorie de la branche RC qui ne représente que 15% du chiffre d’affaires. Cette rentabilité limitée, cause de la dégradation des comptes techniques des compagnies, a incité les assureurs à se désengager progressivement. Mais c’est au lendemain du vote de la Loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner qui refonde en France les bases de la responsabilité médicale, que les assureurs opèrent un retrait massif du marché de la RCP, parmi eux, les compagnies Saint Paul et ACE qui concentraient le plus grand portefeuille de contrats. Conséquence de cette désertion, la sélection des risques par les compagnies d’assurance et la création d’une «liste noire» de praticiens, obligeant les plus «sinistrés» à l’arrêt de leur activité chirurgicale ou, pour certains, à avoir recours à des assureurs étrangers qui proposent des tarifs attrayants, à l’exemple de la compagnie irlandaise MIC.

Évolution des tarifs

Après la crise des la RCP des années 2002-2003, le mouvement de hausse des primes s’est poursuivi, mais à un rythme modéré. L’augmentation a été de l’ordre de 2000 EUR sur la période 2003-2006, elle a atteint 14 000 EUR (21 000 USD) en 2006.

En 2007, suite à la décision de la MACSF de se retirer du marché des gynécologues obstétriciens, les tarifs ont enregistré une nouvelle hausse de

  • 22 000 EUR (33 000 USD) pour les obstétriciens, soit un tarif de 30 000 EUR (45 000 USD)
  • 30 000 EUR (45 000 USD) pour les chirurgiens, avec une garantie limitée à 3 millions EUR (4,5 millions USD) par sinistre et de 38 000 EUR (57 000 USD) pour une garantie limitée à 6 millions EUR (9 millions USD) par sinistre.

Sinistralité

Selon les statistiques de la FFSA, dans la spécialité gynécologie-obstétrique libérale, les sinistres graves (c'est-à-dire supérieurs à 1 millions EUR (1,5 millions USD) sont rares, en moyenne de 2 par an. Les coûts d’indemnisation des sinistres apparaissent très concentrés sur un petit nombre de sinistres lourds.

La MACSF, mutuelle qui assure 2/3 des médecins libéraux en France, a recensé 2 sinistres pour 100 assurés en 2002.

Le Bureau Central de Tarification

Used with permission from MicrosoftLes praticiens peuvent avoir recours au Bureau Central de Tarification (BCT) créé par la loi de 2002 et qui a pour rôle d’imposer à un assureur de prendre en charge la garantie d’un risque pour un montant de prime défini.

Selon l’article L252-1 du Code des Assurances, «toute personne assujettie à l'obligation d'assurance qui, ayant sollicité la souscription d'un contrat auprès d'une entreprise d'assurance couvrant en France les risques de responsabilité civile mentionnée au même article, se voit opposer deux refus, peut saisir un bureau central de tarification».

Un groupement de coassurance a été crée en 2002 à l’instigation des assureurs: le Groupement Temporaire des Assurances Médicales (GTAM)

Le Bureau Central de Tarification a pour rôle de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l'entreprise d'assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé.

En janvier 2006, a été crée un Observatoire des risques médicaux dont l’objectif est de recueillir les informations permettant d'améliorer la connaissance des accidents médicaux les plus caractéristiques par leur fréquence et leurs conséquences

Dans les pays anglo-saxons

Used with permission from MicrosoftDans beaucoup de pays (États-unis, Canada, Australie, Singapour, Hong-Kong, Irlande, Grande-Bretagne, Danemark, etc.,) les médecins exerçant des spécialités à risques particuliers se sont regroupés pour négocier en direct et gérer leurs assurances auprès des assureurs et réassureurs. Fondé sur la mise en place de la gestion des risques, le système permet aux médecins d’éliminer les intermédiaires et de contrôler directement l’adéquation de l’évolution du coût de leur assurance en fonction des risques enregistrés.

Aux États-unis, l'actualité offre régulièrement des exemples d'indemnités records obtenues par des patients victimes d'erreur médicale. L’erreur médicale est devenue la huitième cause de mortalité devant les accidents de la route et les cancers du sein.

Face à l’ampleur du problème et à son coup économique, une nouvelle loi a été proposée, pour régir et limiter, au plan national, les indemnisations auxquelles les patients peuvent avoir droit en cas d’erreurs médicales. Le montant maximum pour les dommages non économiques a été fixé à 250 000 USD. Les compensations pour les coûts directement imputables aux soins ou la perte de revenus consécutive à l'accident ne sont pas limitées. Le délai légal pour engager des poursuites a été ramené à 3 ans.

Les accidents médicaux et la sécurités des patients: une question de société à l’échelle mondiale

La sécurité des patients est devenue une priorité reconnue des systèmes de soins du monde entier.
Lors d’une conférence internationale à Porto (Portugal) en 2007, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a appelé à intensifier la recherche pour améliorer la sécurité des patients.

L’OMS estime que, chaque année, dix millions de patients dans le monde sont victimes de traumatismes invalidants ou mortels directement liés à des pratiques médicales dangereuses.

Principales causes d’accidents
  • infections nosocomiales. On estime qu’environ 1,4 million de personnes sont atteintes d’infection nosocomiale.
  • réactions indésirables aux médicaments. D’après les estimations, entre 7% et 10% des patients en soins aigus font une réaction indésirable aux médicaments.
  • chirurgie et anesthésie. Ces actes médicaux comptent parmi les plus complexes, voire les plus coûteux à assurer pour le système de santé. Les événements indésirables en salle d’opération représentent au moins 50% de tous les événements indésirables.
  • injections à risque. Les injections à risque seraient à l’origine de 1,3 million de décès chaque année dans le monde et représenteraient 26 millions d’années de vie perdues et une dépense annuelle de 535 millions USD en frais médicaux directs.
  • produits sanguins non sécurisés. On estime que 5% à 15% des cas d’infection au HIV dans les pays en développement résultent de transfusions sanguines.
Les solutions de prévention préconisées par l’OMS
  • standardiser la fabrication et l'étiquetage des perfusions,
  • identifier par des codes couleurs les tubulures de cathéters et les seringues,
  • interdire la réutilisation de matériel à usage unique (vecteurs de contaminations infectieuses).
  • promouvoir massivement l'hygiène des mains des soignants par l'utilisation des gels désinfectants à base d'alcool.
  • mettre en place des dispositifs de prévention du risque
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