Accident nucléaire de Fukushima : le bout du tunnel est encore très loin

Près de deux mois après l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima, au nord-est du Japon, la situation reste critique. Les fuites radioactives continuent de polluer l'atmosphère tout autour de la centrale endommagée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011.

Fukushima : Un accident nucléaire majeur de niveau 7

accident nucleaireLes rejets sont désormais hautement radioactifs, notamment les fuites d'iode 131 et de césium 137. Le niveau de gravité est passé de 5 à 7 : soit le niveau maximal de l'échelle des événements nucléaires et radiologiques INES (International Nuclear Event Scale). Ce niveau n'a, jusqu'à présent, été attribué qu'à la catastrophe de Tchernobyl.

On peut d'ores et déjà relever :

  • accident nucleaire Fukushima
    l'évacuation de près de 200 000 personnes
  • l'extension de la zone d'exclusion de 20 à 30 Km autour de la centrale et l'établissement d'une zone interdite à la population sur un rayon de 20 Km
  • une forte contamination du niveau marin près de la centrale nucléaire de Fukushima
  • une hausse alarmante du niveau de radioactivité à l'intérieur des bâtiments abritant les réacteurs 1 et 3
  • une pollution durable avec un rejet important de matières radioactives ayant des effets graves sur la santé et l'environnement
  • la contamination des denrées alimentaires et de l'eau potable pour des années

Les sept niveaux de gravité des accidents nucléaires selon l'échelle internationale INES

NiveauDescriptionConséquences
1Anomalie d'exploitation
  • Pas de conséquence sur le site
2Incident
  • Pas de conséquence hors du site
  • Contamination du personnel sur le site
3Incident grave
  • Très faibles rejets hors du site
  • Contamination du personnel avec effets sur la santé
4Accident
  • Conséquences locales : rejets mineurs de matières radioactives hors du site
5Accident
  • Conséquences étendues : rejets de matières radioactives hors du site
6Accident grave
  • Rejets importants de matières radioactives hors du site
7Accident majeur
  • Rejets majeurs de matières radioactives avec des effets considérables sur la santé et l'environnement

L'échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques INES

échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques INES

Source: INES

Accident nucléaire de Fukushima : la crise

TEPCO, la compagnie d'électricité propriétaire de la centrale nucléaire Fukushima, a annoncé, mi-avril 2011, qu'elle ne pourrait reprendre le contrôle des réacteurs que dans neuf mois. Il lui faut pas moins de trois mois pour baisser le niveau de radioactivité et entre trois et six mois pour refroidir les réacteurs.

Crédit photo: U.S. Navy / 2nd Class John Smolinski Réapprovisionnement en eau douce de la centrale après la catastrophe

C'est uniquement après que pourront commencer les travaux de démantèlement et d'assainissement de quatre des six réacteurs de Fukushima Daiichi (les réacteurs 5 et 6, épargnés par la catastrophe, pourraient être conservés).

Ces opérations dureront des dizaines d'années et pourront s'étendre jusqu'à 100 ans selon des spécialistes britanniques.

Accident Fukushima : Gestion du risque nucléaire

Vu la spécificité de l'accident nucléaire, son impact démesuré, ainsi que l'absence de modélisation dans ce domaine, la gestion de ce risque reste extrêmement complexe. Les réglementations en vigueur et les conventions internationales sont, jusqu'à présent, les seuls cadres qui régissent l'industrie nucléaire.

  • La Convention de Paris

La Convention de Paris sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire a été conclue en 1960 et amendée en 1964 et 1982. Elle regroupe principalement les pays de l'Europe occidentale : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie.

Complété en 1963 par la Convention de Bruxelles, le traité de Paris prévoit un système d'indemnisation en trois étapes. Le premier responsable reste l'exploitant de la centrale, suivi de l'Etat qui intervient en second lieux pour participer aux indemnisations. Enfin, ce sont les pays signataires de la convention de Bruxelles qui seront mis à contribution.

  • La Convention de Vienne

Adoptée trois ans après celle de Paris, la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires n'est entrée en vigueur que 14 ans plus tard, en 1977. Elle était destinée à régir ces questions à l'échelle internationale.

En dépit de son rayon plus large, elle ne comptait que 11 Etats à la fin des années 1980. Sa révision en 1997 a permis la hausse de son plafond d'indemnisation, l'élargissement de son champ de couverture ainsi que l'adoption de la convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires. Le montant d'indemnisation stipulé par cette convention s'élève à 262 millions USD.

En 1988, l'adoption du Protocole commun relatif à l'application de la Convention de Vienne et de la Convention de Paris, entré en vigueur en 1992, a permis l'extension du champ d'application géographique du régime international de responsabilité nucléaire.

  • La responsabilité civile de l'exploitant
Crédit photo: AbasaaZone de sécurité à Fukushima

La Convention de Paris et celle de Vienne instaurent la responsabilité des opérateurs du nucléaire pour tous dommages aux biens et aux personnes en cas d'accident. Les exploitants sont tenus de souscrire une assurance responsabilité civile pour se couvrir contre le risque nucléaire.

Pour les dommages aux biens, chaque pays applique la législation locale en vigueur. En général les exploitants ne sont pas tenus de souscrire une assurance pour couvrir les dommages occasionnés à leurs installations.

Actuellement la limite de garantie responsabilité civile pour les exploitants est fixée à 132 millions USD. En cours de révision, la Convention de Paris portera ce plafond à 1 milliard USD, afin d'assurer une réparation équitable et adéquate aux victimes.

Le montant total des dédommagements prévus par la révision de la Convention de Bruxelles s'élèvera à 2,1 milliards USD.

Sont également à l'étude l'extension de la période de couverture des préjudices corporels causés aux tiers de 10 à 30 ans et l'intégration du coût de la dégradation de l'environnement.

Montant maximum à la charge de l'exploitant en responsabilité civile

PaysMontant en millions USD
Allemagne
3 641
Japon
1 456
Espagne
1 019
Suisse
963
Belgique
433
Finlande
277
Pologne
238
Roumanie
238
France
133
Chine
44

Source: OCDE

Les pools de réassurance : mécanismes mieux adaptés aux risques d’accident nucléaire

Si la probabilité d'occurrence d'un accident nucléaire grave reste faible, son coût serait trop élevé pour être supporté par un seul assureur. Les capacités seraient nettement insuffisantes. De plus, les régimes de responsabilité et d'indemnisation instaurés par les Conventions de Paris et de Vienne se sont révélés sujet à des lacunes au niveau des plafonds et des montants de dédommagement. Sans oublier que de nombreux pays n'ont pas adhéré à ces Conventions.

Pour garantir des montants d'indemnisation plus élevés, les assureurs des pays qui ont développé une activité nucléaire, se sont regroupés en pools de réassurance. Il existe actuellement plus d'une vingtaine de pools dans le monde. A l'instar du français Assuratome, il existe des structures similaires en Allemagne, Chine, Etats-Unis, Espagne, Japon, Suisse, Royaume Uni. Les montants de garantie offerts varient d'un pool à l'autre.

Risque nucléaire : les dix principaux pools

en millions USD
PaysNom du poolCapacité
JaponJapan Atomic Energy Insurance Pool (JAEIP)1 060
SuissePool Suisse d'Assurance contre les Risques Nucléaires891
FranceAssuratome760
Royaume UniNuclear Risk Insurers Limited (NRI)751
AllemagneDeutsche Kernreaktor Versicherungsgemeinschaft (DKVG)725
ChineChina Nuclear Insurance Pool (CNIP)482
Suède et FinlandeNordic Nuclear Insurers (NNI)263
Etats-UnisAmerican Nuclear Insurers (ANI)154
BelgiqueSyndicat Belge d'Assurance Nucléaire (SYBAN)139
EspagneAseguradores de Riesgos Nucleares a.i.e. (Espanuclear)113
Source: Assuratome

Les mutuelles du risque nucléaire

centrale nucléaireDepuis quelques années, d'autres structures ont vu le jour. Il s'agit d'associations mutuelles d'assurance : Elini (European Liability Insurance for the Nuclear Industry) pour la responsabilité civile et Emani (European Mutual Association for Nuclear Insurance) pour les dommages. Etant des concurrentes directes des pools de réassurance, ces mutuelles ont été créées par l'industrie nucléaire européenne dans le but de faire baisser les primes d'assurance. Un système identique existe également aux Etats Unis avec le NEIL (Nuclear Electric Insurance Limited).

L'énergie nucléaire au niveau mondial

En 2018, il existe 450 centrales nucléaires en fonctionnement dans 31 pays. Ils produisent près de 11% de l'électricité mondiale. De plus, 55 réacteurs sont en construction dans le monde et 120 en projet, dont 34 en Asie.

Avec 98 réacteurs, les Etats-Unis sont le pays le plus «nucléarisé » du monde, arrive ensuite la France avec 58 réacteurs et 1 100 sites où s'exercent des activités nucléaires. La chine est au 3ème rang avec 45 réacteurs.

Nombre de centrales et de réacteurs nucléaires en activité en 2018

PaysNombres de centralesPuissance  (MW)Part du nucléaire
dans la production électrique
Pool de réassurance
Etats-Unis989906119%American Nuclear Insurers (ANI)
France586313072%ASSURATOME
Chine45428384%China Nuclear Insurance Pool
Japon39369746%The Japan Atomic Energy Insurance Pool
Russie362725218%Russian Nuclear Insurance Pool
Corée du Sud242244524%The Korea Atomic Energy Insurance Pool
Inde2262553% 
Canada191355415%Nuclear Insurance Association of Canada
Royaume Uni15892318%Nuclear Risk Insurers Limited
Ukraine151310753%Ukrainian Nuclear Insurance Pool
Suède8862940%Swedish Atomic Insurance Pool
Belgique7591839%Syndicat Belge d'Assurance Nucléaire (SYBAN)
Allemagne7951512%Deutsche Kernreaktor Versicherungsgemeinschaft
Espagne7712120%Espanuclear
République Tchèque6393235%The Czech Nuclear Insurance Pool Office
Pakistan513187% 
Suisse5333336%Schweizer Pool fur die Versicherung von Nuklearrisiken
Taïwan5444811% Nuclear Energy Insurance Pool of the Republic of China (N.E.I.P.R.O.C.)
Finlande4274932%Finnish Atomic Insurance Pool
Slovaquie4181455%Slovak Nuclear Insurance Pool
Hongrie4190251%Hungarian Nuclear Insurance Pool
Argentine316335% 
Brésil218843%Coordenacao de Riscos de Energia
Bulgarie2196635%Energy Ins. Co. Ltd.
Mexique215525%Atomic Mexican Pool
Roumanie2130017%Romanian Pool for the Insurance of Atomic Risks
Afrique du Sud218605%The South African Pool for the Insurance of Nuclear Risks
Arménie137526% 
Iran19152% 
Pays-Bas14823%BV Bureau van de Nederlandse Pool voor Verzekering van Atoomrisico's
Slovénie168836% 

Fukushima, un accident nucléaire des plus graves jamais arrivés

En soixante ans, l'industrie nucléaire a connu six accidents de niveau de gravité 5 et plus. Les trois plus graves sont :

  • Three Mile Island (1979). Survenu aux Etats Unis suite à un enchaînement de défaillances techniques et humaines, l'accident a coûté 1 milliard USD pour le marché mondial de l'assurance.
  • Crédit photo: Redrat72Tchernobyl (1986). Vingt-cinq ans après l'explosion d'un réacteur à la centrale de Tchernobyl, l'Ukraine n'a pas encore fini de panser ses plaies. Un périmètre de 30 km autour de la centrale est totalement interdit. De plus toute la région restera contaminée pour 1000 ans encore. Jusqu'à présent, il n y'a pas de bilan définitif de ce drame. La Biélorussie estime que le coût de relocalisation des habitants, la fermeture de la zone contaminée autour du site et les dommages médicaux pourraient atteindre 235 milliards USD. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique porte les dépenses à plusieurs centaines de milliards de dollars, alors que Greenpeace, avance la somme faramineuse de 1000 milliards USD.
  • Fukushima N°1 (2011). Quatre réacteurs sont, jusqu'à présent, hors de contrôle, une estimation précise des dégâts prendrait des années.

En 2011, le gouvernement japonais a estimé le coût des pertes assurées causées par l'accident nucléaire de Fukushima à 74 milliards USD. En 2013, ce coût est revu à la hausse pour ainsi atteindre 104,5 milliards USD.

En 2016, la facture de l’indemnisation des victimes de la catastrophe et le démantèlement des réacteurs est estimée à 176 milliards USD par le gouvernement japonais.

L’accident Fukushima rouvre le débat sur le maintien ou la sortie du nucléaire

Considérée comme le plus sérieux accident depuis Tchernobyl, la catastrophe nucléaire de Fukushima a relancé le débat sur la sécurité dans les centrales.

Du coup, une trentaine de réacteurs risquent d'être fermés dans le monde, notamment les plus vieux ou ceux situés dans une zone sismique. Un ralentissement de l'essor de cette énergie est également à prévoir.

Des mesures restrictives ont d'ores et déjà été prises dans plus d'un pays :

  • en Europe, 143 réacteurs seront soumis à des tests de sécurité.
  • l'Allemagne a annoncé l'interruption de l'activité des sept réacteurs les plus anciens de son parc et souhaite sortir du nucléaire "le plus tôt possible".
  • l'Italie, seul pays du G 8 à ne plus avoir de centrale nucléaire en activité sur son territoire depuis l'accident de Tchernobyl, renonce à son programme nucléaire. Un investissement de 29 milliards USD était initialement prévu pour construire huit réacteurs.
  • aux Etats-Unis, l'électricien NRG a abandonné un projet de construction de deux réacteurs dans le sud du Texas. Il ne reste donc plus que sept réacteurs en projet dans le pays. L'organisme de contrôle nucléaire (Nuclear Regulatory Commission) a lancé, pour sa part, un examen approfondi de la sécurité des réacteurs américains.
  • la Suisse, la Corée du Sud, l'Inde et la Chine ont, pour leur part, décidé de réexaminer leur plan de développement des centrales nucléaires.

D'autres pays vont poursuivre leur programme nucléaire, à l'instar de :

  • centrale nucleairela Russie où cinq nouvelles centrales sont en cours de construction. Aujourd'hui, plus de 17% de l'électricité produite en Russie provient de centrales nucléaires. L'objectif des autorités est de doubler ce chiffre.
  • le Japon où l'autorité de sûreté a annoncé qu'elle va poursuivre son programme nucléaire dans l'archipel.
  • la France comme la Grande-Bretagne ont explicitement déclaré qu'elles ne vont pas renoncer à l'énergie nucléaire.
  • l'Ukraine qui n'a pas abandonné le nucléaire et exploite encore quatre centrales. Celle de Tchernobyl a continué à fonctionner jusqu'en 2000.
  • la Pologne où les réacteurs de la première centrale nucléaire seront opérationnels en 2020. Deux autres centrales seront construites d'ici 2030.

Les plus graves accidents nucléaires dans le monde

Nom de la centraleDatePaysNiveau de gravitéConséquences
Chalk River
Décembre 1952Canada5ND
Mayak
Septembre 1957Russie6200 morts, 500 000 personnes irradiées
et 10 000 autres évacuées.
Windscale
Octobre 1957Grande Bretagne5ND
Saint-Laurent-des Eaux
Octobre 1969France4ND
Three Mile Island
Mars 1979Etats Unis5140 000 personnes évacuées
Erwin
Août 1979Etats Unis-Un millier de personnes irradiées
Saint-Laurent-des Eaux
Mars 1980France4ND
Tsuruga
Janvier-mars 1981Japon-278 personnes irradiées
Tchernobyl
Avril 1986Ukraine74 000 morts*
Vandellos
Octobre 1989Espagne3ND
Tomsk-7
Avril 1993Russie-ND
Tokaimura
Septembre 1999Japon4600 personnes irradiées et
320 000 autres évacuées
Mihama
Août 2004Japon-Mort de 5 employés
Tricastin
Juillet 2008France1Une centaine de salariés contaminés
Fukushima N°1
Mars 2011Japon7200 000 personnes évacuées

* Bilan de l'ONU, datant de 2005. ND Non déterminé

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