Le gigantisme maritime, un virage risqué pour les assureurs

Si les méga porte-conteneurs et paquebots ont réussi leur pari de réduire les coûts d’exploitation tout en augmentant les capacités de fret et de passagers, le gigantisme maritime pose, toutefois, un problème épineux aux assureurs qui doivent gérer des concentrations de valeur hors normes.

Gigantisme maritime : les porte-conteneurs un risque élevé

gigantisme maritime Le porte-conteneur géant CSCL Globe © Keith Skipper, CC BY-SA 2.0

Les plus gros porte-conteneurs sont aujourd’hui capables d’embarquer plus de 19 000 EVP(1) , alors qu’au début des années 70, période de l’apparition de la conteneurisation moderne, la capacité de ce type de navire n’était que de 1 500 EVP.

Le record du plus gros navire de commerce au monde a été battu deux fois en 2015. Une première fois en janvier, le navire «MSC OSCAR» d’une capacité de plus de 19 000 EVP a été livré à l’armateur suisse «Mediterranean Shipping Company». Une deuxième fois en juillet avec le «MSC ZOE» qui a amarré au port d’Anvers avec une capacité de chargement de 19 224 EVP. Long comme quatre terrains de football, il s’agit, aujourd’hui, du plus grand porte-conteneurs au monde.

Malgré les problèmes qu’il pose, ce gigantisme maritime n’est pas prêt de s’arrêter. La course à la taille ne semble pas avoir de fin. Les premières unités de 21 000 EVP ont été livrées en 2017. C’est le cas du OOCL Hong Kong ou le OOCL Germany.

Selon un rapport conjointement publié par l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) et l’International Transport Forum (ITF) (2), les porte-conteneurs de 24 000 EVP seraient mises en service à partir de 2020. La même source prévoit qu’en 2019, 135 porte-conteneurs d’une capacité de plus de 18 000 EVP seront en état de naviguer.

La taille des navires a triplé en vingt ans et le mouvement ne fait que s’accélérer.

(1) EVP: Equivalent Vingt Pieds (1 pied = 30,48 cm).
(2) Source: www.internationaltransportforum.org/pub/pdf/15CSPA_Mega-Ships.pdf

Gigantisme maritime : évolution de la capacité des porte-conteneurs de 1970 à 2017

Gigantisme maritime capacité porte-conteneurs Source: Allianz Global Corporate&Speciality

Une concentration de valeurs jamais atteinte

Cette course effrénée au gigantisme entraîne des concentrations de valeurs jamais atteintes. Selon le rapport de l’Union internationale d’assurance maritime IUMI (1) , publié mi-septembre 2015, la valeur du corps d’un porte-conteneurs géant d’une capacité de 19 000 EVP est estimée à 200 millions USD alors que sa cargaison maximale est estimée à 800 millions USD. Pour les assureurs, ce bâtiment de commerce représente un cumul de capitaux corps et facultés d’un milliard USD, hors sinistre entraînant des responsabilités. Est-il besoin d’envisager les dommages que pourrait entraîner une collision entre deux méga porte-conteneurs de ce type?

(1)iumi2015.de/wp-content/uploads/2015/09/14+09_1155_seltmann.compressed.pdf

Les ports s’adaptent au gigantisme maritime

De leur côté, les grands ports ont été contraints de s’adapter à l’évolution de la conteneurisation et à la massification des flux maritimes. Les structures portuaires ont été agrandies afin de faciliter le chargement, le déchargement et le transfert des conteneurs, mais aussi pour améliorer les capacités d’entreposage. La croissance rapide des marchandises entreposées entraîne l’allongement du temps de séjour à quai et engendre une accumulation de risques encore plus importante, aggravée par la valeur élevée des corps de navire.

Le méga sinistre, survenu en août 2015, dans le port de Tianjin (Chine) se rapproche de ce scénario où des pertes corps et facultés maritimes se cumulent dans un port moderne.

Catastrophe de Tianjin, l’événement qui dévoile l’autre visage du gigantisme maritime

gigantisme maritime

Selon Guy Carpenter(2) , l'explosion Tiangin en 2015, génère un nombre record de demandes d’indemnisation auprès des assureurs. Le courtier américain estime le coût du dédommagement humain et matériel lié à cette catastrophe à plus de 3,3 milliards USD dont un montant très élevé pour l'assurance maritime (la branche transport facultés maritimes).

C’est dans les pays à fort trafic maritime, pays matures ou émergents à taux de croissance élevé, que ces mégas sinistres sont le plus à craindre.

Le gigantisme des bateaux de croisière, un autre fardeau pour les assureurs

Gigantisme maritime «Harmony of the Seas» en construction © Ludovic Péron, CC BY-SA 4.0

La situation n’est pas plus rassurante en ce qui concerne le transport maritime de passagers. Tout comme les porte-conteneurs, les paquebots de croisière sont atteints par la fièvre du gigantisme.

Il y a plus de cent ans déjà, le paquebot britannique Titanic était capable de transporter 3300 personnes dont 944 membres d’équipage.

Aujourd’hui, l’«Allure of the Seas» de l’armateur finlandais Royal Caribbean Cruise Line, mis en service en 2010, est considéré comme le plus grand navire de transport de passagers. Il peut transporter jusqu’à 7784 personnes dont 2384 membres d’équipage.

Le navire de croisière «Harmony of the Seas», livré en mai 2016 au même armateur finlandais. Avec 362 mètres de long et 66 mètres de large, il est le plus grand paquebot au monde en 2016. Le « Symphony of the seas » lui ravit le titre en 2018.

Les navires de croisière sont aujourd’hui de véritables petites villes flottantes. Ils peuvent abriter des boutiques, des piscines, des théâtres, des espaces verts et même des practices de surf et des terrains de golf. La taille de ces géants des mers et les montants des indemnisations en cas de sinistre soulèvent de nombreuses interrogations et inquiètent les assureurs.

Selon un rapport de l’Institut Français de la Mer IFM(1) , la valeur des grands paquebots (qui transportent entre 5 000 et 8 000 personnes à bord) peut atteindre 1,2 milliard USD, somme à laquelle s’ajoutent les indemnisations au titre de la responsabilité civile des armateurs (Protection and Indemnity Clubs : P&I Clubs). Au global, le montant d’un sinistre majeur au titre d’une police d’assurance classique peut, selon les spécialistes, avoisiner les 4 milliards USD.

Malgré les améliorations réalisées au niveau de la sécurité du transport maritime, le marché des assurances reste confronté à de nouveaux défis liés au gigantisme(2). L’évacuation des passagers, entre 6 000 et 8 000 pour les navires de croisière, pose d’innombrables problèmes de sécurité en cas d’avarie en pleine mer.

(1) Source: ifm.free.fr/htmlpages/pdf/2009/rapport-gigantisme.pdf (2) Atlas Magazine «Sécurité et transport maritime»

Le naufrage du Titanic

Le RMS Titanic est un paquebot transatlantique britannique de la compagnie «White Star Line». Il est réputé pour être le plus grand et le plus luxueux jamais construit au moment de son lancement. Lors de sa première traversée, de la ville de Southampton (Royaume-Uni) à New York, il percute un iceberg et coule, trois heures plus tard, dans la nuit de 14 à 15 avril 1912. Son naufrage cause la mort de 1513 personnes sur 2200 passagers à bord. Cette tragédie a inspiré de nombreux romans et films, dont le plus célèbre est celui de James Cameron «Titanic».

La course au gigantisme des navires de croisière et des porte-conteneurs finit par aggraver les risques pour les assureurs. Leurs engagements sont de plus en plus lourds, tant du fait de la valeur des bateaux et de leurs cargaisons que des coûts des opérations de réparation, de sauvetage, d’enlèvement des épaves et des risques découlant de la pollution, des indemnisations des passagers et tierces personnes.

Le gigantisme maritime et les cyber-risques

L’évolution des navires en taille et en valeur va de pair avec l’évolution des technologies embarquées à bord. Aujourd’hui, l’essor de la navigation électronique suscite une inquiétude croissante pour les assureurs maritimes. Une cyberattaque ciblant les systèmes de navigation électroniques pourrait conduire à la perte totale d’un navire et affecter éventuellement plusieurs organes de navigation d’autres unités de transport appartenant au même armateur.

D’autres scénarios présentés par le dernier rapport d’Allianz «Safety and Shipping Review 2015»(1), analysent les possibilités pour des cybercriminels de cibler un port important, fermer des terminaux ou compromettre des données confidentielles. De telles attaques pourraient engendrer des pertes d’exploitation significatives, sans oublier les risques de responsabilité civile et d’atteinte à la réputation.

(1) Source : agcs.allianz.com/assets/PDFs/Reports/Shipping-Review-2015.pdf

Les catastrophes maritimes majeures : (période 2002-2015)

DateEvénement
30-09-2015
Le cargo américain SS El Faro qui faisait route entre Jacksonville (Floride) et l’île de Porto Rico (les grandes Antilles) a coulé au large des Bahamas. Le sinistre causé par l’ouragan Joaquin a coûté la vie aux 33 membres de l’équipage.
01-06-2015
Un navire de croisière, transportant 458 personnes à son bord, a sombré dans le fleuve de Yangtsé (Chine). 445 personnes sont portées disparues.
16-04-2014
Naufrage du ferry-boat sud-coréen Sewollors de la traversée entre Incheon et l’île de Jeju. Le naufrage a causé la mort de plus de 300 personnes sur les 476 passagers.
17-06-2013
Le porte-conteneurs japonais MOL Comfort qui transportait 4 382 conteneurs fait naufrage dans l’Océan Indien, suite à une fissure apparue dans la coque. Les 26 membres d’équipage ont quitté le navire avant qu’il ne coule.
29-10-2012
La réplique du trois-mâts HMS Bounty sombre au large de la Caroline du Nord (USA) pendant l’ouragan Sandy. Ce naufrage fait un mort et un disparu.
02-02-2012
Naufrage du ferry-boat papou-néo-guinéen(îles du Pacifique) MV Rabaul Queenlors de la traversée entre les villes de Kimbeet Lae. 104 passagers disparus.
13-01-2012
Le navire de croisière Costa Concordia, s’échoue près de l’île de Giglio en Italie, faisant 32 morts et 2 disparus.
16-12-2011
Le cargo TK Bremen s’échoue à Erdeven dans le Morbihan(France) suite à la tempête Joachim.
05-10-2011
Le porte-conteneurs MV Rena s’échoue sur un récif de Nouvelle-Zélande. Il se brise en deux entre le 1 et le 13 janvier 2012.
17-12-2009
Naufrage du cargo MV Danny F II au large du Liban, alors qu’il naviguait de Montevideo(Uruguay) à Tartous(Syrie). Décès de 9 personnes.
05-08-2009
Naufrage du ferry-boat tongien MV Princess Ashika alors qu’il faisait route de la capitale des Tonga vers les Ha’apai (îles d’Océanie), causant la mort de 74 personnes
23-05-2009
Naufrage du Commando, ferry-boat de la compagnie Ilagan Shipping Lines faisant 12 morts. Le bateau assurait la liaison entre Batangas et Puerto Galera -Philippines.
11-09-2008
Naufrage du brick-goélette irlandais Asgard II au large de Belle-Île-en-Mer (France)à la suite d’une voie d’eau.
21-06-2008
Naufrage du ferry-boat Princess Of The Stars, de la compagnie Sulpicio Lunes faisant 828 morts; le navire a sombré en raison d’énormes vagues provoquées par le typhon Fengshen aux Philippines.
06-04-2007
Naufrage du bateau de croisière Sea Diamond près des côtes de l’île Santorin, dans les Cyclades (Grèce).
02-02-2006
Naufrage du ferry-boat Al-Salam Boccaccio en mer Rouge, causant la mort d’environ 1000 personnes.
13-11-2002
Naufrage en Espagne du pétrolier Prestige au large du cap Finisterre.
26-09-2002
Naufrage du traversier sénégalais le Joola au large des côtes de Gambie, faisant officiellement 1863 morts, et officieusement plus de 2000 victimes. Capacité de transport légal du navire 550 personnes.

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La catastrophe du Joola

Le Joola, car-ferry qui assurait la navette entre la capitale sénégalaise Dakar et la région de Casamance, a sombré le 26 septembre 2002 au large de la Gambie. Le sinistre a entraîné la mort de 1863 personnes alors que le bateau était conçu pour ne transporter que 550 passagers. La perte du Joola figure parmi les catastrophes maritimes les plus meurtrières de l’histoire moderne devant le Titanic (1513 morts).

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