Micro-assurance en Afrique : l'état des lieux

La définition de la micro-assurance est essentiellement la même que celle de l'assurance traditionnelle, sauf en ce qui concerne son marché cible : les personnes à faibles revenus. Bien que le terme « micro-assurance » ait commencé à être en vogue lors de la dernière décennie, le concept visant à utiliser l'assurance pour protéger les pauvres n'est pas vraiment nouveau.

micro-assurance AfriqueCertains assureurs contemporains ont commencé leur carrière dans l'assurance vie aux 19ème et 20ème siècles, en vendant aux portes des usines des polices à primes modérées aux ouvriers.

D'autres assureurs ont débuté en tant qu'assureurs mutualistes pour aider leurs sociétaires ou «membres-propriétaires» à gérer leurs risques et traverser les périodes difficiles.

Dans ce contexte, la micro-assurance apparait aujourd'hui comme un retour aux fondamentaux de l'assurance. Elle couvre une variété de risques différents ( accident, maladie, décès, catastrophes naturelles et dommages aux biens) et peut couvrir un risque unique ou composite.

La micro-assurance ne se réfère pas à la taille de l'assureur. Il existe des exemples de très grandes compagnies qui offrent des produits de micro-assurance, y compris des multinationales comme Allianz, AIG et Zurich.

Micro-assurance en Afrique : un marché inexploité

En Afrique, la micro-assurance est présente sous diverses formes depuis des années. Des coopératives d'assurance ont dès 1970 pénétré le marché.

Dans les années 1980, de nombreux régimes d'assurance maladie communautaires, principalement en Afrique de l'ouest, ont été créés. Au milieu des années 1990, les assureurs privés ont commencé à investir le marché de la micro-assurance, offrant des produits spécifiques pour les populations démunies.

Quant à la micro-assurance informelle, elle est proposée depuis des décennies sous des formes variées allant des tontines en Afrique de l'ouest ou des groupes «Friends in need" en Afrique de l'est en passant par les sociétés funéraires en Afrique du Sud.

Une opportunité économique

Le marché de la micro-assurance représente une opportunité non négligeable pour les assureurs africains. Environ un milliard de personnes vivent en Afrique, dont 60% ne disposent que de 2 USD par jour. Ainsi, le marché représente près de 700 millions de personnes.

Le revenu annuel de ce groupe est d'environ 500 milliards USD (Banque mondiale, 2007). En supposant un potentiel pour les dépenses consacré à l'assurance de 5% du PIB (Sigma 2009), le marché de la micro-assurance en Afrique représente environ 25 milliards USD.

Micro-assurance en Afrique : état des lieux du marché

micro-assuranceLa situation de la micro-assurance en Afrique est très loin de ces chiffres. Une étude réalisée par le Fonds pour l'Innovation en micro-assurance du BIT (Bureau International du Travail) en 2009, a révélé que 14,7 millions de personnes sont couvertes, ce qui représente un volume de primes d'environ 257 millions USD.

L'Afrique australe et orientale dominent le marché avec respectivement 8,8 millions et 4 millions d'assurés. Dans les autres régions africaines, seules 1,9 millions de personnes bénéficient d'une police d'assurance.

Ces chiffres indiquent que seulement 2,6% de la population pauvre en Afrique utilise actuellement des produits de micro-assurance. Le montant des primes brutes ne représentent que 1% du potentiel estimé du marché.

Les produits de micro-assurance proposés en Afrique

Les micro-assureurs africains offrent une grande variété de produits. L'assurance de personnes domine nettement le marché. Avec 7 millions d'assurés, la police temporaire décès reste le produit le plus demandé. Elle est généralement requise pour l'obtention d'un micro crédit ou d'un emprunt.

Les garanties funérailles et accidents corporels, qui couvrent environ 6,2 millions d'assurés, figurent également parmi les produits les plus couramment souscrits.

Crédit photo: US Gov. / Renuka Naj L'assurance décès (4,8 millions) est relativement facile à gérer et demande peu d'investissements. Elle est donc couramment offerte dans de nombreux pays africains.
Les produits vie mixte (0,8 million de personnes) sont moins répandus puisque leur nature à plus long terme nécessite une gestion plus complexe et un risque plus grand pour l'assuré.

Les produits maladie couvrent au moins 1,9 million de personnes, dont 1,3 million bénéficient d'une couverture multirisque, principalement émise par les mutuelles de santé et quelques assureurs spécialisés.

Moins de 0,3 million d'africains ont accès à des produits couvrant des biens non-agricoles. En ce qui concerne, l'assurance agricole, l'étude montre que moins de 80 000 personnes ont souscrit des produits couvrant leurs élevages, cultures et autres produits.

Enfin, ces chiffres montrent qu'il existe bel et bien un grand potentiel pour l'expansion et la croissance de la micro-assurance en Afrique.

Micro-assurance en Afrique : les canaux de distribution

Crédit photo: US Gov. / Angela RuckerPour placer leurs produits, les micro-assureurs africains utilisent une variété de canaux de distribution. Les organisations communautaires, les mutuelles et les institutions de micro finance figurent parmi les modes de distribution les plus courants.

Toutefois, certains assureurs continuent d'utiliser des moyens conventionnels pour distribuer leurs produits.

Cette tendance est en nette évolution en Afrique du Sud et au Kenya où les expériences avec des canaux alternatifs, tels que les détaillants ou les fournisseurs de téléphonie mobile, sont plus nombreuses.

Les programmes pilotes de micro-assurance ont montré que tous les modèles de distribution présentent des avantages et des inconvénients. En conséquence, les collaborations entre différentes institutions peuvent s'avérer comme une solution gagnant-gagnant.

  • Pour les assureurs traditionnels, la micro-assurance représente un énorme marché inexploité et un bon moyen pour diversifier leurs activités. Selon Colette Patience, chef de projet à Old Mutual (Afrique du Sud) : « Le marché des personnes à faible revenu est le nouveau point de croissance (pour les assureurs) non pas dans une perspective de responsabilité sociale des entreprises, mais bien d'un point de vue commercial », (Voir encadré).

Old Mutual

Old Mutual est un groupe spécialisé dans les assurances de personnes et la retraite, établi en 1845 en Afrique du Sud et présent dans 38 pays à travers le monde. En 2009, il a réalisé 35 milliards USD de revenus.

Old Mutual est un gestionnaire de patrimoines. Il fournit des produits d'investissement, de l'épargne retraite, ainsi que de l'assurance vie, invalidité et santé à des particuliers et à des groupes.

A travers le projet de micro-assurance, Old Mutual vise le marché à faibles revenus (revenu mensuel maximum de 460 USD) à la fois au niveau des individus et des communautés en milieu rural et périurbain.

Old Mutual teste l'approche du « guichet unique », offrant une gamme complète de services financiers aux clients à faibles revenus.

Dans les zones rurales, le système d'affiliation prend appui sur les groupes préexistants en collaboration avec 1000 sociétés funéraires, stokvels et salons funéraires. L'objectif pour l'assureur est de fidéliser 1 million de clients d'ici 2020.

  • Pour les organisations communautaires, elle constitue une solution pour protéger les citoyens vulnérables.
  • Pour les institutions de micro finance, elle constitue le meilleur moyen de préserver les portefeuilles de prêts et de diversifier les offres de produits financiers.

Chacun de ces acteurs apporte une certaine valeur ajoutée à un partenariat de micro-assurance. Les assureurs traditionnels disposent d'actuaires expérimentés qui peuvent introduire des outils d'analyse et d'évaluation des risques. Les organisations communautaires jouissent, quant à elles, de la confiance des clients alors que les institutions de micro finance ont l'expérience des transactions financières pour rationaliser la distribution.

Les défis de la micro-assurance en Afrique

Pour que la micro-assurance devienne une activité rentable pour les assureurs africains, certains obstacles doivent être surmontés.

Parmi les freins au développement de cette activité, on note :

  • le manque de compréhension des clients vis-à-vis de l'assurance
  • la capacité financière très limitée des personnes visées
  • les frais administratifs très élevés pour les assureurs
  • le manque de technologies de l'information au service de la micro-assurance
  • le manque de personnel qualifié

La viabilité du modèle de micro-assurance passe donc par :

  • une amélioration des produits afin de fournir une meilleure offre aux populations à faibles revenus ;
  • une réduction des coûts d'exploitation ;
  • une amélioration de l'efficacité des circuits de distribution et de gestion des différents intervenants ;
  • Used with permission from Microsoftl'introduction de solutions technologiques qui pourrait réduire les coûts d'exploitation et la fraude à l'assurance. C'est le cas par exemple de l'utilisation des cartes à puce pour les virements mobiles de primes par UAB au Burkina Faso (voir encadré) ou les terminaux portables qui permettent aux agents de percevoir les primes et gérer les renseignements concernant les sinistres (solution développée par l'UAP Insurance Company, Kenya et l'International Livestock Research Institute, Kenya) ;

Union des Assurances du Burkina Vie

L'Union des Assurances du Burkina Vie (UAB) est une compagnie d´assurance vie établie de longue date (37,79% de parts de marché en 2008) qui lance un produit de micro-assurance vie à grande échelle.

Le produit, destiné aux entrepreneurs du secteur informel dans les zones urbaines, est basé sur un système d'épargne contractuel, et comprend des garanties assurance vie et invalidité.Les cotisations des clients sont recueillies chaque jour. Les primes d'assurance sont faibles, soit 100 FCFA (0,2 USD) par mois. Le bénéfice est le double de la valeur du capital sous contrat, avec un plafond de 200 000 FCFA (415 USD) pour la vie et l'invalidité.

L'utilisation des nouvelles technologies pour équiper les clients avec des cartes à puce et les agents avec des terminaux d'ordinateur devrait améliorer la gestion du produit, réduire les coûts et aider UAB à étendre ses opérations dans le pays, avec un objectif de 200 000 clients au cours des trois prochaines années.

  • la reconnaissance de la micro-assurance comme service financier spécifique, qui se situe au carrefour de l'assurance traditionnelle et de la protection sociale. Cette reconnaissance pourrait faciliter la coopération entre assureurs et organismes de protection sociale. Au Kenya, par exemple, l'assureur Cooperative Insurance collabore avec La Caisse Nationale d'Assurance Maladie pour étendre la couverture des travailleurs de l'économie informelle : projet Bima Ya Jami. (voir encadré)

Bima Ya Jami

Bima Ya Jami (BYJ) est un projet pilote qui offre un produit composite de micro-assurance couvrant la santé, le décès accidentel ou l'invalidité et les funérailles pour les ménages kenyans à faibles revenus.

Le projet est géré par un consortium : le Centre Coopératif Suédois (SCC) est responsable de la gestion du projet et du renforcement des capacités, l'assureur Cooperative Insurance est le porteur des risques décès accidentel et funérailles, et la Caisse Nationale d'Assurance Maladie intervient en qualité de porteur du risque santé.

Le lien avec la Caisse Nationale d'Assurance Maladie constitue un cas intéressant d'utilisation des mécanismes de marché pour permettre aux travailleurs de l'économie informelle d'accéder aux services de santé.

Le projet a débuté en septembre 2008, et l'assureur s'attend à couvrir 200 000 personnes à faibles revenus d'ici deux ans. Si l'initiative est couronnée de succès au Kenya, le consortium prévoit d'élargir l'offre de produits à d'autres pays de la région.

L'avenir de la micro-assurance en Afrique

Used with permission from MicrosoftBien que la progression de la micro-assurance en Afrique au cours des trois dernières années soit impressionnante, la majorité du continent africain demeure un marché inexploité.
Actuellement, limitée à certaines garanties d'assurance de personnes, la micro-assurance doit étendre ses activités à la couverture des risques maladie, agricoles et dommages aux biens, qui représentent aujourd'hui une fraction minime des primes collectées.

Le marché existe. En fait, l'avenir de la micro-assurance ne dépend que des assureurs et des solutions qu'ils peuvent apporter pour répondre aux besoins exprimés par les populations à faibles revenus.

Il s'agit d'une véritable remise en cause du modèle existant d'assurance qui doit intégrer :

  • une diversification des apporteurs d'affaires et une amélioration des canaux de distribution existants ;
  • une sensibilisation accrue des populations à faibles revenus pour une meilleure compréhension de la micro-assurance ;
  • un renforcement des capacités pour développer, vendre et gérer des produits d'assurance de bonne qualité.

Sous réserve d'innovation et de créativité, le secteur de la micro-assurance pourrait fonctionner comme l'assurance de type standard et devenir une branche à part entière au sein des sociétés traditionnelles d'assurance africaines.

Nota: Cet article a été proposé à Atlas Magazine par le Fonds pour l'Innovation en micro-assurance du Bureau International du Travail, Genève, que nous remercions. Illustrations: Atlas Magazine.

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