Fukushima : Un accident nucléaire majeur de niveau 7
Les rejets sont désormais hautement radioactifs, notamment les fuites d'iode 131 et de césium 137. Le niveau de gravité est passé de 5 à 7 : soit le niveau maximal de l'échelle des événements nucléaires et radiologiques INES (International Nuclear Event Scale). Ce niveau n'a, jusqu'à présent, été attribué qu'à la catastrophe de Tchernobyl.On peut d'ores et déjà relever :
l'évacuation de près de 200 000 personnes- l'extension de la zone d'exclusion de 20 à 30 Km autour de la centrale et l'établissement d'une zone interdite à la population sur un rayon de 20 Km
- une forte contamination du niveau marin près de la centrale nucléaire de Fukushima
- une hausse alarmante du niveau de radioactivité à l'intérieur des bâtiments abritant les réacteurs 1 et 3
- une pollution durable avec un rejet important de matières radioactives ayant des effets graves sur la santé et l'environnement
- la contamination des denrées alimentaires et de l'eau potable pour des années
Lire aussi | Accident nucléaire de Fukushima : qui va payer la facture ? [4]
Les sept niveaux de gravité des accidents nucléaires selon l'échelle internationale INES
Niveau | Description | Conséquences |
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1 | Anomalie d'exploitation |
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2 | Incident |
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3 | Incident grave |
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4 | Accident |
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5 | Accident |
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6 | Accident grave |
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7 | Accident majeur |
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L'échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques INES
Source: INESAccident nucléaire de Fukushima : la crise
TEPCO, la compagnie d'électricité propriétaire de la centrale nucléaire Fukushima, a annoncé, mi-avril 2011, qu'elle ne pourrait reprendre le contrôle des réacteurs que dans neuf mois. Il lui faut pas moins de trois mois pour baisser le niveau de radioactivité et entre trois et six mois pour refroidir les réacteurs.
Réapprovisionnement en eau douce de la centrale après la catastrophe |
C'est uniquement après que pourront commencer les travaux de démantèlement et d'assainissement de quatre des six réacteurs de Fukushima Daiichi (les réacteurs 5 et 6, épargnés par la catastrophe, pourraient être conservés).
Ces opérations dureront des dizaines d'années et pourront s'étendre jusqu'à 100 ans selon des spécialistes britanniques.
Accident Fukushima : Gestion du risque nucléaire
Vu la spécificité de l'accident nucléaire, son impact démesuré, ainsi que l'absence de modélisation dans ce domaine, la gestion de ce risque reste extrêmement complexe. Les réglementations en vigueur et les conventions internationales sont, jusqu'à présent, les seuls cadres qui régissent l'industrie nucléaire.
- La Convention de Paris
La Convention de Paris sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire a été conclue en 1960 et amendée en 1964 et 1982. Elle regroupe principalement les pays de l'Europe occidentale : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie.
Complété en 1963 par la Convention de Bruxelles, le traité de Paris prévoit un système d'indemnisation en trois étapes. Le premier responsable reste l'exploitant de la centrale, suivi de l'Etat qui intervient en second lieux pour participer aux indemnisations. Enfin, ce sont les pays signataires de la convention de Bruxelles qui seront mis à contribution.
- La Convention de Vienne
Adoptée trois ans après celle de Paris, la Convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires n'est entrée en vigueur que 14 ans plus tard, en 1977. Elle était destinée à régir ces questions à l'échelle internationale.
En dépit de son rayon plus large, elle ne comptait que 11 Etats à la fin des années 1980. Sa révision en 1997 a permis la hausse de son plafond d'indemnisation, l'élargissement de son champ de couverture ainsi que l'adoption de la convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires. Le montant d'indemnisation stipulé par cette convention s'élève à 262 millions USD.
En 1988, l'adoption du Protocole commun relatif à l'application de la Convention de Vienne et de la Convention de Paris, entré en vigueur en 1992, a permis l'extension du champ d'application géographique du régime international de responsabilité nucléaire.
- La responsabilité civile de l'exploitant
Zone de sécurité à Fukushima |
La Convention de Paris et celle de Vienne instaurent la responsabilité des opérateurs du nucléaire pour tous dommages aux biens et aux personnes en cas d'accident. Les exploitants sont tenus de souscrire une assurance responsabilité civile pour se couvrir contre le risque nucléaire.
Pour les dommages aux biens, chaque pays applique la législation locale en vigueur. En général les exploitants ne sont pas tenus de souscrire une assurance pour couvrir les dommages occasionnés à leurs installations.
Actuellement la limite de garantie responsabilité civile pour les exploitants est fixée à 132 millions USD. En cours de révision, la Convention de Paris portera ce plafond à 1 milliard USD, afin d'assurer une réparation équitable et adéquate aux victimes.
Le montant total des dédommagements prévus par la révision de la Convention de Bruxelles s'élèvera à 2,1 milliards USD.
Sont également à l'étude l'extension de la période de couverture des préjudices corporels causés aux tiers de 10 à 30 ans et l'intégration du coût de la dégradation de l'environnement.
Montant maximum à la charge de l'exploitant en responsabilité civile
Pays | Montant en millions USD |
---|---|
Allemagne | 3 641 |
Japon | 1 456 |
Espagne | 1 019 |
Suisse | 963 |
Belgique | 433 |
Finlande | 277 |
Pologne | 238 |
Roumanie | 238 |
France | 133 |
Chine | 44 |
Source: OCDE
Les pools de réassurance : mécanismes mieux adaptés aux risques d’accident nucléaire
Si la probabilité d'occurrence d'un accident nucléaire grave reste faible, son coût serait trop élevé pour être supporté par un seul assureur. Les capacités seraient nettement insuffisantes. De plus, les régimes de responsabilité et d'indemnisation instaurés par les Conventions de Paris et de Vienne se sont révélés sujet à des lacunes au niveau des plafonds et des montants de dédommagement. Sans oublier que de nombreux pays n'ont pas adhéré à ces Conventions.
Pour garantir des montants d'indemnisation plus élevés, les assureurs des pays qui ont développé une activité nucléaire, se sont regroupés en pools de réassurance. Il existe actuellement plus d'une vingtaine de pools dans le monde. A l'instar du français Assuratome, il existe des structures similaires en Allemagne, Chine, Etats-Unis, Espagne, Japon, Suisse, Royaume Uni. Les montants de garantie offerts varient d'un pool à l'autre.
Risque nucléaire : les dix principaux pools
en millions USDPays | Nom du pool | Capacité |
---|---|---|
Japon | Japan Atomic Energy Insurance Pool (JAEIP) | 1 060 |
Suisse | Pool Suisse d'Assurance contre les Risques Nucléaires | 891 |
France | Assuratome | 760 |
Royaume Uni | Nuclear Risk Insurers Limited (NRI) | 751 |
Allemagne | Deutsche Kernreaktor Versicherungsgemeinschaft (DKVG) | 725 |
Chine | China Nuclear Insurance Pool (CNIP) | 482 |
Suède et Finlande | Nordic Nuclear Insurers (NNI) | 263 |
Etats-Unis | American Nuclear Insurers (ANI) | 154 |
Belgique | Syndicat Belge d'Assurance Nucléaire (SYBAN) | 139 |
Espagne | Aseguradores de Riesgos Nucleares a.i.e. (Espanuclear) | 113 |
Les mutuelles du risque nucléaire
Depuis quelques années, d'autres structures ont vu le jour. Il s'agit d'associations mutuelles d'assurance : Elini (European Liability Insurance for the Nuclear Industry) pour la responsabilité civile et Emani (European Mutual Association for Nuclear Insurance) pour les dommages. Etant des concurrentes directes des pools de réassurance, ces mutuelles ont été créées par l'industrie nucléaire européenne dans le but de faire baisser les primes d'assurance. Un système identique existe également aux Etats Unis avec le NEIL (Nuclear Electric Insurance Limited).
L'énergie nucléaire au niveau mondial
En 2018, il existe 450 centrales nucléaires en fonctionnement dans 31 pays. Ils produisent près de 11% de l'électricité mondiale. De plus, 55 réacteurs sont en construction dans le monde et 120 en projet, dont 34 en Asie.
Avec 98 réacteurs, les Etats-Unis sont le pays le plus «nucléarisé » du monde, arrive ensuite la France avec 58 réacteurs et 1 100 sites où s'exercent des activités nucléaires. La chine est au 3ème rang avec 45 réacteurs.
Nombre de centrales et de réacteurs nucléaires en activité en 2018
Pays | Nombres de centrales | Puissance (MW) | Part du nucléaire dans la production électrique | Pool de réassurance |
---|---|---|---|---|
Etats-Unis | 98 | 99061 | 19% | American Nuclear Insurers (ANI) |
France | 58 | 63130 | 72% | ASSURATOME |
Chine | 45 | 42838 | 4% | China Nuclear Insurance Pool |
Japon | 39 | 36974 | 6% | The Japan Atomic Energy Insurance Pool |
Russie | 36 | 27252 | 18% | Russian Nuclear Insurance Pool |
Corée du Sud | 24 | 22445 | 24% | The Korea Atomic Energy Insurance Pool |
Inde | 22 | 6255 | 3% | |
Canada | 19 | 13554 | 15% | Nuclear Insurance Association of Canada |
Royaume Uni | 15 | 8923 | 18% | Nuclear Risk Insurers Limited |
Ukraine | 15 | 13107 | 53% | Ukrainian Nuclear Insurance Pool |
Suède | 8 | 8629 | 40% | Swedish Atomic Insurance Pool |
Belgique | 7 | 5918 | 39% | Syndicat Belge d'Assurance Nucléaire (SYBAN) |
Allemagne | 7 | 9515 | 12% | Deutsche Kernreaktor Versicherungsgemeinschaft |
Espagne | 7 | 7121 | 20% | Espanuclear |
République Tchèque | 6 | 3932 | 35% | The Czech Nuclear Insurance Pool Office |
Pakistan | 5 | 1318 | 7% | |
Suisse | 5 | 3333 | 36% | Schweizer Pool fur die Versicherung von Nuklearrisiken |
Taïwan | 5 | 4448 | 11% | Nuclear Energy Insurance Pool of the Republic of China (N.E.I.P.R.O.C.) |
Finlande | 4 | 2749 | 32% | Finnish Atomic Insurance Pool |
Slovaquie | 4 | 1814 | 55% | Slovak Nuclear Insurance Pool |
Hongrie | 4 | 1902 | 51% | Hungarian Nuclear Insurance Pool |
Argentine | 3 | 1633 | 5% | |
Brésil | 2 | 1884 | 3% | Coordenacao de Riscos de Energia |
Bulgarie | 2 | 1966 | 35% | Energy Ins. Co. Ltd. |
Mexique | 2 | 1552 | 5% | Atomic Mexican Pool |
Roumanie | 2 | 1300 | 17% | Romanian Pool for the Insurance of Atomic Risks |
Afrique du Sud | 2 | 1860 | 5% | The South African Pool for the Insurance of Nuclear Risks |
Arménie | 1 | 375 | 26% | |
Iran | 1 | 915 | 2% | |
Pays-Bas | 1 | 482 | 3% | BV Bureau van de Nederlandse Pool voor Verzekering van Atoomrisico's |
Slovénie | 1 | 688 | 36% |
Fukushima, un accident nucléaire des plus graves jamais arrivés
En soixante ans, l'industrie nucléaire a connu six accidents de niveau de gravité 5 et plus. Les trois plus graves sont :
- Three Mile Island (1979). Survenu aux Etats Unis suite à un enchaînement de défaillances techniques et humaines, l'accident a coûté 1 milliard USD pour le marché mondial de l'assurance.
- Tchernobyl (1986). Vingt-cinq ans après l'explosion d'un réacteur à la centrale de Tchernobyl, l'Ukraine n'a pas encore fini de panser ses plaies. Un périmètre de 30 km autour de la centrale est totalement interdit. De plus toute la région restera contaminée pour 1000 ans encore. Jusqu'à présent, il n y'a pas de bilan définitif de ce drame. La Biélorussie estime que le coût de relocalisation des habitants, la fermeture de la zone contaminée autour du site et les dommages médicaux pourraient atteindre 235 milliards USD. L'Agence Internationale de l'Energie Atomique porte les dépenses à plusieurs centaines de milliards de dollars, alors que Greenpeace, avance la somme faramineuse de 1000 milliards USD.
- Fukushima N°1 (2011). Quatre réacteurs sont, jusqu'à présent, hors de contrôle, une estimation précise des dégâts prendrait des années.
En 2011, le gouvernement japonais a estimé le coût des pertes assurées causées par l'accident nucléaire de Fukushima à 74 milliards USD. En 2013, ce coût est revu à la hausse pour ainsi atteindre 104,5 milliards USD.
En 2016, la facture de l’indemnisation des victimes de la catastrophe et le démantèlement des réacteurs est estimée à 176 milliards USD par le gouvernement japonais.
L’accident Fukushima rouvre le débat sur le maintien ou la sortie du nucléaire
Considérée comme le plus sérieux accident depuis Tchernobyl, la catastrophe nucléaire de Fukushima a relancé le débat sur la sécurité dans les centrales.
Du coup, une trentaine de réacteurs risquent d'être fermés dans le monde, notamment les plus vieux ou ceux situés dans une zone sismique. Un ralentissement de l'essor de cette énergie est également à prévoir.
Des mesures restrictives ont d'ores et déjà été prises dans plus d'un pays :
- en Europe, 143 réacteurs seront soumis à des tests de sécurité.
- l'Allemagne a annoncé l'interruption de l'activité des sept réacteurs les plus anciens de son parc et souhaite sortir du nucléaire "le plus tôt possible".
- l'Italie, seul pays du G 8 à ne plus avoir de centrale nucléaire en activité sur son territoire depuis l'accident de Tchernobyl, renonce à son programme nucléaire. Un investissement de 29 milliards USD était initialement prévu pour construire huit réacteurs.
- aux Etats-Unis, l'électricien NRG a abandonné un projet de construction de deux réacteurs dans le sud du Texas. Il ne reste donc plus que sept réacteurs en projet dans le pays. L'organisme de contrôle nucléaire (Nuclear Regulatory Commission) a lancé, pour sa part, un examen approfondi de la sécurité des réacteurs américains.
- la Suisse, la Corée du Sud, l'Inde et la Chine ont, pour leur part, décidé de réexaminer leur plan de développement des centrales nucléaires.
D'autres pays vont poursuivre leur programme nucléaire, à l'instar de :
- la Russie où cinq nouvelles centrales sont en cours de construction. Aujourd'hui, plus de 17% de l'électricité produite en Russie provient de centrales nucléaires. L'objectif des autorités est de doubler ce chiffre.
- le Japon où l'autorité de sûreté a annoncé qu'elle va poursuivre son programme nucléaire dans l'archipel.
- la France comme la Grande-Bretagne ont explicitement déclaré qu'elles ne vont pas renoncer à l'énergie nucléaire.
- l'Ukraine qui n'a pas abandonné le nucléaire et exploite encore quatre centrales. Celle de Tchernobyl a continué à fonctionner jusqu'en 2000.
- la Pologne où les réacteurs de la première centrale nucléaire seront opérationnels en 2020. Deux autres centrales seront construites d'ici 2030.
Les plus graves accidents nucléaires dans le monde
Nom de la centrale | Date | Pays | Niveau de gravité | Conséquences |
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Chalk River | Décembre 1952 | Canada | 5 | ND |
Mayak | Septembre 1957 | Russie | 6 | 200 morts, 500 000 personnes irradiées et 10 000 autres évacuées. |
Windscale | Octobre 1957 | Grande Bretagne | 5 | ND |
Saint-Laurent-des Eaux | Octobre 1969 | France | 4 | ND |
Three Mile Island | Mars 1979 | Etats Unis | 5 | 140 000 personnes évacuées |
Erwin | Août 1979 | Etats Unis | - | Un millier de personnes irradiées |
Saint-Laurent-des Eaux | Mars 1980 | France | 4 | ND |
Tsuruga | Janvier-mars 1981 | Japon | - | 278 personnes irradiées |
Tchernobyl | Avril 1986 | Ukraine | 7 | 4 000 morts* |
Vandellos | Octobre 1989 | Espagne | 3 | ND |
Tomsk-7 | Avril 1993 | Russie | - | ND |
Tokaimura | Septembre 1999 | Japon | 4 | 600 personnes irradiées et 320 000 autres évacuées |
Mihama | Août 2004 | Japon | - | Mort de 5 employés |
Tricastin | Juillet 2008 | France | 1 | Une centaine de salariés contaminés |
Fukushima N°1 | Mars 2011 | Japon | 7 | 200 000 personnes évacuées |
* Bilan de l'ONU, datant de 2005. ND Non déterminé