L’assurance agricole au Maghreb et au Moyen-Orient

L’assurance agricole connaît un regain d’intérêt dans les pays en voie de développement. La hausse des populations urbaines, la demande alimentaire croissante, la volatilité des prix des produits de base, le changement climatique sont autant de facteurs qui expliquent l’intérêt retrouvé pour cette activité.

Des efforts visant à améliorer le taux de pénétration de ce marché sont entrepris sur tous les continents. En Afrique et au Moyen Orient, l’assurance agricole apparaît comme un gisement de primes inexploité.

L’assurance agricole au Maghreb : les marchés de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie

assurance agricole

L’agriculture revêt une importance particulière en Afrique du Nord et notamment dans les pays du Maghreb central. La région a une vocation agricole. L’importance de cette activité se manifeste dès le IIIe siècle av. J.-C. avec le carthaginois Magon(1) qui rédige une encyclopédie regroupant les pratiques agricoles des habitants de l’ancienne Numidie. Ce document a facilité le transfert des connaissances aux autres régions du monde et a servi de référence pendant plusieurs siècles.

Par-delà cet aspect historique, le secteur agricole occupe aujourd’hui comme hier une place importante dans l’économie du Maghreb. Un rapport de la FAO daté de 2014, intitulé « Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture », estime que l’agriculture y emploie un tiers de la population totale. Ce secteur garantit la sécurité alimentaire, génère les moyens d’existence et fournit les matières premières nécessaires à l’industrie.

(1) Magon ou Mago est un érudit carthaginois du IIIe ou IIe siècle av. J.-C

L’agriculture, un secteur à la fois fort et vulnérable

Les troubles socio-politiques qui ont sévi dans les pays du Maghreb lors du printemps arabe n’ont pas directement affecté le secteur agricole qui est resté à l’écart de ces événements. La même constatation peut être faite pour la dernière crise financière mondiale.

Si l’agriculture semble indestructible, elle s’avère néanmoins très vulnérable. Dans les pays maghrébins, les petits agriculteurs doivent faire face à une multitude de risques, ceux liés au climat, à la production, aux conditions du marché... D’où l’importance d’un système d’assurance agricole pour sécuriser et protéger cette activité vitale mais très fragile.

L’agriculture dans le PIB des pays du Maghreb en 2015

PaysPourcentage du PIB
Algérie12,7
Maroc14,5
Tunisie10,4

Histoire de l’assurance agricole au Maghreb

L’histoire de l’assurance agricole est plus ou moins identique dans les trois pays du Maghreb central. Cette activité a été introduite au début du XXe siècle par les colons français. Pour protéger leurs investissements, ces derniers ont importé le système d’assurance qui existait déjà en métropole. C’est ainsi que les premières mutuelles agricoles ont été créées au Maghreb.

Assurance agricole au Maghreb : la première expérience en Algérie

La première expérience d’assurance agricole au Maghreb remonte au 17 décembre 1907, date de création de la Caisse Centrale de Réassurance des Mutuelles Agricoles en Algérie. Son objectif est d’assurer les exploitations des fermiers contre la grêle.

Deux années plus tard, le gouverneur général de l’Algérie décide d’étendre les activités d’assurance à la Tunisie. La mutuelle récemment créée en Algérie prend alors le nom de Caisse Centrale Algérienne et Tunisienne «Grêle-Bétail».

En 1912, nouveau changement et nouvelle création d’une mutuelle agricole en Tunisie : La Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles « Tunis Assurances ». Cette dernière fusionne avec son homologue algérienne en 1919.

Des pourparlers entre les délégués de la Caisse Centrale dont le siège était à Alger, et les hautes autorités du protectorat au Maroc, aboutissent en 1921 à l’ouverture de trois caisses régionales, à Casablanca, Rabat et Oujda. Ces dernières proposent des produits d’assurance agricole contre la mortalité du bétail et la grêle.

L’assurance agricole au Maghreb à la période pré-indépendance

L’essor de la mutualité agricole au Maghreb a été entravé par plusieurs événements. D’abord par le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. A partir du 1er septembre 1939, des milliers de sociétaires sont progressivement mobilisés. Cet événement a une grande influence sur l’activité de la Caisse Centrale, principal assureur de la région.

Deuxième fait marquant, le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord en 1942 entraîne une rupture des relations entre la métropole et les pays du Maghreb et rend l’encaissement des cotisations plus difficile.

Les troubles précédant les indépendances de la Tunisie et du Maroc, ainsi que ceux introduits par le début de la guerre d’Algérie, ont poussé la mutualité à étendre ses activités vers le domaine social, le but étant de garantir l’ensemble des risques encourus par les agriculteurs. Un nouveau produit « émeutes et mouvements populaires » voit ainsi le jour permettant aux agriculteurs de se prémunir contre ces risques nouveaux.

L’assurance agricole au Maghreb après l’indépendance

assurance agricole

Dès l’indépendance acquise, les trois pays du Maghreb central se sont engagés dans un processus de reprise en main des institutions d’assurance agricole.

Le 28 avril 1961, la Tunisie crée la Caisse Tunisienne d’Assurances Mutuelles Agricoles (CTAMA) qui reprend les activités des mutuelles agricoles existantes du temps du protectorat.

Le Maroc adopte la même démarche. En 1963, soit sept ans après son indépendance, le Royaume chérifien réunit les trois caisses régionales alors existantes en une seule entité. La Mutuelle Agricole Marocaine d’Assurance (MAMDA) est née.

En 1969, la Mutuelle Centrale Marocaine d’Assurance (MCMA), voit le jour. Elle prend en charge les risques non agricoles des paysans (maladie, décès, accidents du travail, retraite, etc.).

En Algérie, Il faudra attendre quelques années après l’indépendance pour que l’Etat algérien crée en 1972 la Caisse Nationale de la Mutualité Agricole «CNMA». Cette dernière a réuni trois caisses à savoir, la caisse centrale de réassurance des mutuelles agricoles (CCRMA), la caisse centrale des mutuelles sociales agricoles (CCMSA) et la caisse mutuelle agricole de retraite (CMAR).

Assurance agricole au Maghreb : état des lieux

Dans les pays du Maghreb central, l’assurance agricole reste marginale. Elle n’a pas encore trouvé sa place malgré sa riche histoire et le fort potentiel dont dispose la région. Le morcellement des terres constituées à 84% par des exploitations familiales constitue un frein au développement de cette activité.

L’assurance agricole en Tunisie

En 2015, le secteur agricole occupe une place prépondérante dans l'économie tunisienne. L’agriculture constitue la principale activité, notamment dans les régions rurales. Elle représente 10,4% du PIB, emploie 13,4 % de la main d'œuvre active et attire 9,4% des investissements du pays(1).

En 2016, la Tunisie compte près de 516 000 agriculteurs. Seuls 40 000 d’entre eux disposent d’une couverture d’assurance, soit 8% de la population ciblée. Ce pourcentage atteint 20% pour les exploitations de plus de 10 hectares. Le faible taux de pénétration de l’assurance agricole rend le secteur tributaire des aléas climatiques.

Le manque d’adhésion des agriculteurs à l’assurance est principalement dû au morcellement des terres agricoles. L’assurabilité des petites exploitations est difficile, du fait du coût relativement élevé des couvertures accordées.

A noter que les terres de moins de cinq hectares représentent 53% du nombre des exploitations agricoles en Tunisie, alors que celles de moins de dix hectares représentent 73%. (Voir tableau ci-après)

Superficies exploitées en agriculture et nombre d’exploitants

SuperficieNombre d’exploitants%
Moins de 5 ha
276 00053 %
De 5 à 10 ha
102 00020%
De 10 à 50 ha
124 00024%
De 50 à100 ha
10 0002%
Plus de 100 ha
4 0001%
Total
516 000 100%
Source : Caisse Tunisienne d’Assurances Mutuelles Agricoles (CTAMA)

L’assurance agricole reste liée aux conditions d’octroi des crédits agricoles. La branche ne représente en 2015 que 0,34% du chiffre d’affaires directe du marché. Le montant des primes collectées atteint 5,66 millions TND (2,79 millions USD), en baisse de 24,7% par rapport à 2014.

Selon le bilan de la Fédération Tunisienne des Sociétés d'Assurances (FTUSA), la CTAMA accapare 53,4%(1) du marché, suivie par l’ASTREE et la COMAR, avec respectivement 17% et 16,4% du portefeuille risques agricoles.

Evolution du chiffre d’affaires de l’assurance agricole en Tunisie (période 2010-2015)

  201020112012201320142015
Primes risques agricoles
En TND9 305 3577 293 6376 821 9905 790 2927 526 1765 666 018
En USD 4 571 3574 879 1514 404 1403 533 815 4 049 9862 802 582
Primes totales marché
En TND1 120 357 3241 177 905 0881 285 468 7741 412 670 1551 556 068 9531 679 011 541
En USD785 258 448787 971 387829 872 931862 152 595837 351 824830 489 478
Part des risques agricoles dans le marché
0,83%0,62%0,53%0,4%0,48%0,34%
(1) Rapport Ftusa 2015 Source : Fédération Tunisienne des Sociétés d’Assurance (Ftusa)

L’assurance agricole en Algérie

Tout comme en Tunisie, l’assurance agricole peine à s’imposer en Algérie. Selon la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM), 5 % des exploitations agricoles algériennes disposent d’une police d’assurance, soit 50 000 assurés sur environ un million d’exploitants.

Pour la Banque mondiale, le secteur agricole représente en 2015, 12,7% du PIB. En 2016, l’assurance agricole en Algérie a généré 3,4 milliards DZD (30,89 millions USD) de primes contre 3,8 milliards DZD (35,6 millions USD) un an auparavant, soit une baisse de 10%. La branche assurance agricole représente 2,6% des affaires directes du marché (vie et non vie). La CNMA, principal acteur du marché, contrôle 75% du portefeuille des risques agricoles en 2015(1).

Evolution du chiffre d’affaires de l’assurance agricole (période 2010-2016)

Chiffres en milliers
  2010 (2)2011(3)2012 (3)2013 (3)2014 (3)20152016
Primes risques agricoles
En DZD1 237 2871 626 0002 247 0002 786 0003 269 0003 757 4443 371 530
En USD16 96321 54428 87435 85637 39735 25230 634
Primes totales marché
En DZD81 082 49087 329 000100 182 000114 885 000125 472 000128 422 145130 973 012
En USD1 111 6411 157 1091 287 3391 478 5701 435 4001 204 8571 190 021
Part des risques agricoles dans le marché
1,5%1,9%2,2%2,4%2,6%2,9%2,6%
(1) Rapport 2015 CNMA
(2) Rapports annuels Conseil National des Assurances
(3) Rapports trimestriels de la Conseil National des Assurances

L’assurance agricole au Maroc

L’agriculture constitue un secteur stratégique au Maroc. Elle contribue à 14,5% du PIB. L’activité reste fortement exposée au risque sécheresse. Pour pallier cet aléa, les autorités marocaines ont lancé, en 1994, un programme d’assurance sècheresse pour les céréales. Ce projet n’a pas donné les résultats escomptés. Les bénéficiaires se sont détournés du produit pour cause de dédommagements trop faibles.

Suite à cette première expérience, l’Etat, dans le cadre du Plan Maroc vert, a introduit en 2008 un nouveau programme de développement de l’assurance avec des produits fortement subventionnés.

La MAMDA, principal acteur du marché et partenaire de taille du projet, a mis en place en 2012 une couverture multirisque récolte pour les céréales, les légumineuses et les oléagineux. Ce produit est complété en 2014, par une nouvelle couverture multirisque climat en direction de l’arboriculture fruitière. Cette garantie permet d’assurer les exploitations contre six aléas climatiques (le gel, la grêle, les inondations, les températures élevées, les vents forts et le chergui)(1).

En 2016, la superficie globale assurée s’élève à 1,08 million d’hectares (2) contre 327 000 en 2011. Le nombre d’agriculteurs ayant souscrit une police d’assurance agricole est de 50 012 en 2016, contre 3 784 assurés cinq ans auparavant. Les petits agriculteurs totalisent 77% des surfaces assurées.

Cette réussite revient, entre autres, à l’intervention de l’Etat qui subventionne jusqu’à 90% des cotisations. Le montant de ces dernières est pratiquement symbolique pour les petits exploitants.

Pour assurer la pérennité de ce système fortement subventionné, le Maroc travaille actuellement avec l’Agence de développement agricole (ADA), l’Agence Française de Développement (AFD) et le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) sur un nouveau projet de développement de la micro-assurance agricole et de l’assurance indicielle.

A rappeler que la MAMDA est le leader local de l’assurance agricole avec 70% de parts de marché(3). L’édifice assurantiel a été récemment complété par la création en 2014 de Mamda Re, un acteur spécialisé dans la réassurance des risques agricoles.

Doté d’un capital de 121 millions USD, Mamda Re a pour actionnaires la MAMDA avec une participation de 50%, le réassureur bermudien PartnerRe avec 30% et la Mutuelle Centrale de Réassurance (France) avec 20%.

Evolution du chiffre d’affaires de l’assurance agricole au Maroc (période 2010-2015)

Chiffres en milliers
  201020112012 (5)201320142015
Primes risques agricoles(4)
En MAD9 82713 17112 230354 165364 513413 598
En USD1 1771 5371 45243 94840 47142 013
Primes totales marché
En MAD21 872 80723 893 87126 027 72226 733 64528 421 59130 423 749
En USD2 621 0182 788 8923 090 5313 317 3783 155 6493 090 444
Part des risques agricoles dans le marché
0,04%0,06%0,05%1,32%1,28%1,36%
Source : Fédération Marocaine des Sociétés d’Assurance et de Réassurance (FMSAR) (1) Le chergui est un vent chaud venant du Sahara
(2) http://lavieeco.com/news/siam/assurance-agricole-le-taux-de-penetration-multiplie-par-quatre.html
(3) http://www.fondation-farm.org/zoe/doc/micro_network-brochure_agriculture-def-low_fr.pdf
(4) Chiffres uniquement disponibles pour les risques : grêle + mortalité du bétail + assurance récolte
(5) 2012 : date d’introduction de l’assurance récolte

L’assurance agricole au Moyen-Orient

Les deux pays du Moyen Orient les plus fertiles, à savoir la Syrie et l’Irak, vivent actuellement une situation politique et sociale compliquée. De ce fait, la branche agricole comme le reste des assurances est à l’arrêt. Néanmoins, en 2004, une expérience a été initiée en Syrie(1), pays fortement exposé à la sécheresse. Le gouvernement de l’époque a entrepris des études pour l’introduction d’un programme d’assurance agricole indexé sur les données climatiques.

Le Sultanat d’Oman qui dispose d’un climat favorable à l’essor de l’agriculture est en passe d’instaurer un système d’assurance agricole. Début 2016, l'autorité des marchés des capitaux (CMA), le ministère de l'agriculture et de la pêche et le réassureur local Oman Re ont entamé des pourparlers pour introduire l’assurance agricole dans le pays. L’agriculture omanaise est confrontée à plusieurs risques : sécheresse, inondation, maladie des plantes… A noter que l’agriculture contribue à 1,6% du PIB en 2015.

Malgré leur aisance financière, les autres pays du Golfe rencontrent des défis d’ordre structurel. Leur population continue à croître, les ressources en eau se raréfient, les terres arables se font de plus en plus rares... Face à cette situation, ces pays riches recourent depuis quelques années à l’accaparement agricole.

Les Émirats arabes unis exploitent près de 500 000 hectares en dehors de leur territoire. De son côté, l’Arabie Saoudite a créé des annexes extra-territoriales de plus de 30 000 hectares dans des pays fertiles de l’Afrique de l’Est comme le Mozambique.

Le dernier rapport 2016 de GRAIN(2), une organisation internationale qui vise à renforcer le contrôle des paysans sur les systèmes alimentaires, recense 491 accaparements de terres à grande échelle au cours de la dernière décennie. Ces accords territoriaux portent sur plus de 30 millions d'hectares dans 78 pays.

D’autres sources dont la Banque Mondiale avancent des chiffres allant de 46 millions à 60 millions d’hectares. Les deux-tiers de ces surfaces sont en Afrique subsaharienne. Le tiers restant se trouve en Asie. La taille moyenne de terres est de 40 000 ha.

L'impact croissant du changement climatique et les pertes de récoltes dues aux conditions météorologiques extrêmes poussent plusieurs autres pays à l’instar du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine à accaparer des terres arables pour répondre à leurs besoins croissant de production alimentaire. Si ces transactions constituent une opportunité pour les pays exploitants, elles représentent par contre, une menace pour le développement et la sécurité alimentaire de régions exploitées.

L’agriculture dans le PIB des pays du Moyen-Orient en 2015

PaysPourcentage du PIB
Emirats arabes unis2,3(1) 
Arabie Saoudite2,3
Bahreïn0,3
Oman1,6
Qatar0,2
Egypte11,2
0
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