Avions confisqués en Russie : retour sur l’un des plus grands sinistres aviation

A peine remise des déboires du Boeing 737 Max et des retombées du Covid-19 sur ses activités, l’assurance aviation fait face à un nouveau risque de type catastrophique. Elle est, depuis le 24 février 2022, la victime collatérale d’une guerre déclenchée par l’invasion de l’Ukraine.

Le conflit Russie-Ukraine a non seulement provoqué des annulations de vols et fermetures d’espaces aériens mais a surtout entraîné la confiscation de plusieurs centaines d’aéronefs par les sociétés d’aviation russes.

Avions confisqués en Russie : rappel des faits

avionDès le début des hostilités le 24 février 2022, l'aviation civile russe a fait l'objet d’une série de sanctions occidentales dont les principales sont résumées ci-dessous :

  • interdiction aux avions russes de survoler les espaces aériens des pays membres de l’Union européenne, du Royaume-Uni, des États-Unis, du Canada entre autres,
  • interdiction de vente d’appareils et pièces de rechange aux 43 compagnies aériennes russes avec à leur tête Aeroflot qui dispose à elle seule de 342 avions,
  • suspension le 12 mars 2022 des certificats de navigabilité des 716 appareils russes immatriculés au registre de la Bermuda Civil Aviation Authority, autorité aérienne des Bermudes,
  • les autorités européennes imposent aux sociétés de location d’avions de rapatrier, avant le 28 mars 2022, les 515 Airbus et Boeing en service en Russie. La valeur de ces aéronefs est estimée à 12 milliards USD. Près de 50% des 980 appareils que compte la flotte russe sont concernés par cette mesure.

En réaction à ces sanctions, Vladimir Poutine signe le 14 mars un décret permettant aux compagnies russes de s’approprier les avions appartenant à des loueurs américains et européens. Les autorités russes mettent également à la disposition des compagnies locales d’aviation de nouveaux certificats de navigabilité nationaux, sans valeur internationale.

Avions confisqués en Russie : plusieurs lessors impactés

C’est en 1973, pour soulager les compagnies aériennes impactées par le choc pétrolier qu’émerge le marché des locations d’avions. Les « lessors » offrent alors aux compagnies aériennes la possibilité d’augmenter ou de réduire rapidement leurs flottes.

Une cinquantaine de grands loueurs domine le marché avec pour leaders des sociétés comme AerCap, Dubai Aerospace Enterprise, Carlyle Aviation Partners, Avolon, BAM, SMBC, Air Lease, …

Ce marché possède actuellement 10 900 avions, soit près de la moitié de la flotte mondiale. Ces appareils sont mis à la disposition des compagnies aériennes, avec ou sans équipage, pour une période déterminée calculée en mois ou années.

Trois de ces lessors sont particulièrement affectés par la confiscation des avions par la Russie : AerCap, Dubai Aerospace Enterprise et Carlyle Aviation Partners.

  • AerCap

Basée à Dublin (Irlande), AerCap est la plus grande société de location d’avions au monde avec une flotte de plus de 3 200 avions, moteurs et hélicoptères en propriété ou sous gestion.

securite aerienne 2018Le conflit russo-ukrainien fait perdre à AerCap près de 5% de sa flotte, soit 152 avions loués pour une valeur estimée de 2,5 milliards USD.

Le groupe de leasing aéronautique qui a pu récupérer une vingtaine d’appareils, s’est tourné vers son assureur pour l’indemnisation de ses pertes. Le montant du préjudice s’élève à 3,5 milliards USD, soit 2 milliards USD pour la perte des 135 avions et 1,5 milliard USD au titre de la perte d’exploitation.

Les risques de guerre étant exclus des polices aviation, AerCap a engagé une procédure judiciaire à l’encontre de ses assureurs, dont AIG et le Lloyd's de Londres.

  • Dubai Aerospace Enterprise (DAE)

Basée à Dubaï, l’entreprise de location d'avions détient et gère une flotte de 450 appareils mis à la disposition de 107 compagnies aériennes.

Après avoir subi des pertes de près de 600 millions USD pour 19 avions bloqués en Russie, DAE a intenté une action en justice à Londres contre 11 assureurs et réassureurs, dont le Lloyd's, AIG, Chubb et Swiss Re.

  • Carlyle Aviation Partners

Basée à Miami, Etats-Unis, Carlyle Aviation Partners dispose de 246 avions au service de 93 compagnies aériennes dans 53 pays. La société de location a engagé des poursuites judiciaires à l’encontre d’une douzaine de compagnies d'assurance. Cette action fait suite au refus d’indemnisation des pertes liées à la saisie de 23 avions loués à des compagnies aériennes russes.

Parmi les assureurs concernés figurent American International Group UK, Chubb European Group et Berkshire Hathaway International Insurance. Carlyle Aviation Partners poursuit ces assureurs pour rupture de contrat et manquement aux obligations de bonne foi. Le loueur d’avions exige réparation de son préjudice qui s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars.

Avions confisqués par la Russie et assurance aviation

Les avionneurs, transporteurs aériens et autres sociétés aérospatiales doivent obligatoirement disposer d’une police d’assurance aviation spécifique. Cette couverture concerne trois types de risque :

  • l’assurance corps d’aéronefs (Hull All Risks) qui couvre les pertes ou dommages subis par un aéronef en vol ou au sol. Sont exclus de cette couverture, les sinistres causés par les événements suivants : guerre, invasion, actes d’ennemis étrangers, hostilités déclarées ou non, confiscation, nationalisation, saisie, immobilisation, appropriation ou utilisation par ou sur ordre d’un gouvernement,
  • l’assurance responsabilité civile vis-à-vis des tiers et passagers (Aircraft Third Party Legal Liability),
  • l’assurance des risques de guerre et assimilés (Hull War Risks) prend en charge les sinistres exclus par la police Hull All Risks, à savoir la guerre, l’invasion, le terrorisme, …

Malgré le fait que la plupart des compagnies de location disposent de couvertures spécifiques risques de guerre, le marché aviation rejette, pour l’heure, la prise en charge du préjudice causé par la confiscation des avions par les sociétés russes.

Toutefois, pour parer à toute éventualité, le marché a constitué des réserves estimées à 10 - 15 milliards USD. Ces réserves excluent cependant les pertes potentielles liées aux avions saisis par les compagnies aériennes russes. Ces pertes ne seront probablement connues qu’après de longues procédures judiciaires.

Selon Moody’s la confiscation des avions devrait coûter jusqu’à 10 milliards USD au marché assurance aviation. Un quart des pertes du Lloyd’s en Ukraine proviendrait du marché aviation.

L’ampleur des dommages potentiels aura forcément une influence sur les tarifs lors des prochains renouvellements aviation. La garantie risques de guerre, lourdement impactée, pourrait atteindre des taux jamais égalés.

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